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L’ARÉTIN.

prêché la volupté brutale, en lui infligeant un amour incurable et malheureux[1]. C’en est assez. Cette vie, qui nous amusait d’abord, lasserait notre patience, si nous la poursuivions obstinément dans tous ses détails. Irons-nous chercher dans les lettres de notre ami toute l’histoire de la gastronomie au xvie siècle ? Ce serait fatigant. Le suivrons-nous dans toutes les tavernes de Venise ? Compterons-nous tous les écus, toutes les toques et tous les manteaux dont il fut gratifié ? Répéterons-nous ses conseils de folie adressés aux jeunes gens, ses conseils de mauvais lieu adressés à certaines dames ? Vraiment ce n’est pas la peine.

Les seules aventures que j’aie négligées sont celles qui se trouvent dans tous les Ana et tous les dictionnaires ; les faits que j’ai notés avec soin sont ceux qui éclairent à l’improviste son temps, son pays et la spécialité de son humeur. Il a eu deux secrétaires, Nicolo Francò et Venieri, tous deux rivaux de ce digne maître, et qui sont devenus ses ennemis. L’empereur Charles-Quint a chevauché avec lui pendant près d’une demi-lieue, écoutant d’une oreille trop complaisante, pour un grand monarque, les adulations en vers de son pensionnaire. Pietro Sirozzi, qu’il s’était permis de nommer dans un sonnet, le menaça de son poignard, si jamais il s’avisait de prononcer son nom. L’ambassadeur d’Angleterre, sir Sigismond Hawell, se contenta de lui donner des coups de bâton ; il se plaignit, et finit par louer Dieu qui lui accordait, disait-il, la faculté de pardonner les injures. On le rosse dans la rue ; on le joue sur le théâtre ; on lui envoie des couronnes ; les seigneurs baptisent leurs enfans sous le nom d’Aretino ; enfin Jules iii le nomme chevalier de Saint-Pierre ; le duc de Parme sollicite pour lui la barrette ; il va à Rome dans l’espoir de l’obtenir ; le pontife le baise au front ; — l’Arétin s’aperçoit que ce baiser pontifical sera son unique récompense, et retourne à Venise, où il se vante (ce trait est de caractère) d’avoir refusé la barrette.

Vous trouverez tout cela dans Bayle, dans Mazzuchelli, et dans Ginguené : vous y trouverez aussi la vieille scène du Tintoret et de l’Arétin, qui avait offensé le peintre, et à qui ce dernier demanda la permission de faire son portrait. Une fois enfermés dans

  1. Voyez la seconde partie de l’Arétin.