on se fait une vie d’intrigues et d’orages, d’aumônes et d’ivresse, de mensonge et d’adulation ! Dans ce moment de repos physique et forcé, de solitude maladive, les facultés réelles de l’Arétin se développent ; il voit Venise comme Byron l’a vue plus tard ; un éclair du génie qui anime les grands peintres le frappe. Il écrit, sous l’empire de cette sensation si vive et si vraie, la lettre que nous avons rapportée, et qui en dit plus sur le talent des artistes vénitiens que vingt volumes de commentaires.
Il y a, parmi les peintres, trois rois de la couleur : Rembrandt, le magicien de l’ombre et des ténèbres ; Titien, le coloriste idéal ; Rubens, le coloriste éclatant. L’un éblouit, c’est le Flamand Rubens ; l’autre échauffe sa toile, c’est le Vénitien ; le dernier effraie, c’est le Hollandais. Qui a jamais, comme ce dernier, peuplé l’obscurité palpable de figures vivantes ? Né dans ce moulin dont une ouverture étroite éclairait l’ombre mystérieuse, cet homme a passé toute sa vie à reproduire les premiers prestiges qui l’avaient frappé : ombres mêlées de lumière ; auréoles lointaines ; jets de feu dans une caverne obscure. Vous regardez ; le canevas vous semble noir et confus ; vous regardez encore, un personnage, puis un second, puis un troisième, se détachent peu à peu ; ils s’avancent, ils jaillissent, ils se pressent, ils prennent une forme, une couleur, une physionomie ; les pierreries qui couvrent leurs vêtemens, étincellent déjà ; vous distinguez les plis de leurs turbans, les rides de leurs vieux visages, la pâleur de leurs fronts chauves, la blancheur de leurs tempes dégarnies par l’avarice, la science ou le poids des ans. Quoi ! toute cette population caractéristique vient d’éclore sous nos yeux ! Ces images, est-ce notre esprit qui les crée ? est-ce le peintre qui les a tracées ? Est-ce la magie qui les évoque ?
Quant à Rubens, le plein midi, le soleil à son zénith éclairent ses lumineuses toiles ; le plus splendide des peintres, l’idéal lui manque, son imagination est terrestre. D’un pinceau éclatant et brutal, il verse à flots pressés la vie, mais la vie matérielle et physique ; ses nymphes du ciel et des eaux sont des mortelles douées de sens plus ardens, de désirs plus intenses, d’une énergie plus passionnée, d’une beauté plus matérielle ; ses bacchanales sont l’apothéose de l’ardeur physique. Titien, fils de l’Italie,