Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/739

Cette page a été validée par deux contributeurs.
739
L’ARÉTIN.

raison de dire qu’il n’y a pas d’ame si infecte où quelque rayon pur ne vienne briller.

Avec tous les artistes il ne prend pas le même ton : voici une insolente lettre, adressée par lui à un sculpteur célèbre, fort habile, mais détesté de son temps :

au sculpteur Baccio Bandinelli.

« Cher cavalier, je sais qu’il n’est pas d’une ame magnanime de se rappeler les bons offices qu’on a pu recevoir ; mais, moi, je prends plaisir à vous écrire, afin de vous remettre en mémoire les services de diverse nature que je vous ai rendus à Rome, tant sous le pontificat de Léon x que sous celui de Clément vii. Je suis presque aussi heureux de vous écrire ainsi, que je pourrais l’être de vous trouver reconnaissant. Si la conscience vous mord tant soit peu, vous m’enverrez au moins quatre ou cinq belles esquisses pour me témoigner votre gratitude ; mais je connais votre cœur, il est ingrat : et la bêtise, qui me ferait espérer de vous ce témoignage d’amitié, serait aussi niaise que la présomption qui vous fait croire que vous égalerez jamais le grand Michel-Ange, etc. »

Ses lettres au Titien ne sont ni respectueuses, ni arrogantes ; nous recommandons la suivante à toute l’attention des artistes :

AU TITIEN.

« Seigneur, mon bon compère, en dépit de mes excellentes habitudes, j’ai dîné seul aujourd’hui ; ou, pour mieux dire, j’ai dîné en compagnie de cette fièvre quarte qui me sert d’éternelle escorte, et qui ne me permet plus de goûter la saveur d’aucun mets. Vous me voyez donc, me levant de table, rassasié d’ennui et de désespoir, et sans avoir presque rien touché. Je croise les bras, je les pose sur la corniche de ma fenêtre. La poitrine et le corps presque en dehors, je regarde. Un beau spectacle, cher compère !

« Des nacelles sans nombre, chargées d’étrangers et de Vénitiens, voguent sur le grand canal ; lui, dont l’aspect réjouit tous ceux qui le