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L’ARÉTIN.

contente de ce que je suis, j’ai tout ce que je veux, et ma situation serait charmante si j’avais assez d’argent pour me maintenir honorablement. »

Le pauvre homme ! Son revenu, dès cette époque, équivalait à quarante mille francs de notre monnaie.

Il est vrai qu’il dépensait énormément. « Vous me prenez (écrit-il à Davila) pour un homme bien opulent. J’avoue que je mène un train magnifique ; on voit jusqu’à vingt-deux femmes chez moi et quelquefois avec leurs petits enfans à la mamelle. Tout cela vient manger les fruits de ma pauvre écritoire ; et Titien jure que, si quelque chose l’étonne au monde, c’est de me voir résister si long-temps à une existence qui aurait fait sauter la caisse la mieux garnie. Après tout, je ne dois un sou à personne ; ma maison est toujours la même. Pourquoi, me dites-vous, vous qui n’avez pas de patrimoine, faites-vous des dépenses si exagérées ? — C’est que je loge dans mon corps une ame royale, et que ces ames-là ne connaissent pas de frein quand il s’agit de magnificence. — J’espère bien que je vais tirer du grand Charles-Quint la dot qu’il a promise à ma fille Austria ; et tant qu’il plaira aux princes de jeter des milliers d’écus dans ma cassette, ce sera plaisir pour moi de les dépenser en prince. »

La lettre suivante l’explique mieux encore :

« Le capitaine Jean Tiepoli (écrit-il à un gentilhomme) m’avait envoyé un excellent lièvre, que je mangeais hier avec mes amis, et dont les louanges allaient cœli cœlorum, lorsque vos perdrix, portées par un de vos estafiers, nous sont arrivées. Aussitôt prises, aussitôt rôties ; j’ai quitté mon hymne en faveur des lièvres et me suis mis à chanter les louanges des volatiles. Mon bon ami Titien, donnant un coup d’œil à ces savoureuses bêtes, et un autre coup-d’œil à la neige qui tombait au dehors à grands flocons, se mit à chanter en duo avec moi le Magnificat que j’avais commencé. Un peu de poivre et deux feuilles de laurier ont suffi pour les accommoder et faire un excellent ragoût. Non, jamais les cardinaux de Rome, dans leurs plus belles orgies, n’ont mangé avec plus grand plaisir leurs bec-figues et leurs ortolans. Je les ai vus du temps de Léon x, ces chers cardinaux du bon Dieu ! Oh ! comme