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SONNETS DE SHAKSPEARE.

À qui donc Shakspeare a-t-il adressé ces inconcevables sonnets ? Ce n’est ni à William Hughes qui ne présente d’autres titres qu’une équivoque, ni à William Harte qui n’était pas né, ni à la reine Élisabeth, quoi qu’en dise Chalmers.

Voyons si la conjecture suivante est acceptable.

Selon M. Nathan Drake, le sujet des sonnets, depuis le premier jusqu’au cent vingt-sixième inclusivement, c’est lord Southampton, et il faut reconnaître à ce candidat plus de titres qu’aux précédens.

Son avocat commence par attaquer de front, avec autant d’adresse que d’audace, la principale objection, ces termes de lover et de love, amant et amour, que l’on rencontre à chaque page. Il prouve par des exemples que, du temps de Shakspeare, ces expressions étaient employées dans l’amitié ; que Ben-Johnson se dit le « lover » de Camden, et qu’à la fin d’une lettre adressée au docteur Donne, il écrit qu’il est son « ever true lover ; » que Drayton donnant le même sens à ce mot, dans une lettre à Drummond de Hawthornden, l’informe que M. Joseph Davis est in love avec lui ; que Shakspeare, dans ses drames, emploie souvent ce terme pour exprimer des relations d’amitié ; que Portia, entre autres, dans le Marchand de Venise, dit, en parlant d’Antonio :


« This Antonio
Being the bosom lover of my lord. »


et que, dans Coriolan, Ménénius s’écrie :


« I tell thee, fellow
Thy general is my lover. »


Puis, lorsqu’il croit avoir prouvé suffisamment que lover et love ne veulent dire qu’ami et amitié, il établit les prétentions de son client sur une double base : 1o une dédicace à l’honorable Henri Wriothesly, comte de Southampton, et baron de Tichfield, laquelle se trouve en tête du poème de Tarquin et Lucrèce, et qui commence ainsi : « L’amitié (the love) que je voue à votre seigneurie est sans fin ; » 2o un sonnet, le 26e « Lord of my love, to whom in vassalage. »