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noire comme l’enfer, sombre comme la nuit. — Puis il retombe encore ; puis enfin, il termine par ce cri d’amour et de haine, qui résume les deux sentimens qui luttent dans son cœur : J’aime ce que les autres abhorrent. Si ton indignité m’a inspiré de l’amour, je n’en suis que plus digne d’être aimé de toi !

Mais, grand Dieu ! qu’aperçois-je en relisant quelques-uns des premiers sonnets ? Lui au lieu d’elle ! Presque tous sont dans le style direct, vous et toi : est-ce que je me serais trompé ? est-ce que ces sonnets seraient adressés à un homme ? Shakspeare ! grand Shakspeare ! te serais-tu autorisé de l’exemple de Virgile ?


Formosum pastor Corydon ardebat Alexim.


Imagination, réalité, quand cesserez-vous d’être en guerre et face à face avec l’histoire, l’impitoyable histoire ? que va devenir mon pauvre petit roman ?

ii.

Mon premier paragraphe contenait un roman sur les sonnets de Shakspeare ; en voici maintenant l’histoire, puisque je l’ai promise : mais franchement je désire que la fiction n’ait point laissé de place à la réalité dans l’esprit de mes lecteurs. Quant aux amis rigoureux de la vérité, qui seraient disposés à juger sévèrement la fantaisie à laquelle je me suis laissé aller, qu’ils me permettent de dire, pour ma justification, que ce roman a été de l’histoire en Angleterre pendant plus d’un demi-siècle, que Gildon, qui réimprima ces sonnets en 1710, les donne comme ayant tous été composés par Shakspeare à la louange de sa maîtresse, et que le docteur Sewell, en 1728, dit, dans la préface de son édition, revue et corrigée, des œuvres du poète, page 7, que « une jeune muse doit avoir une maîtresse pour éveiller son imagination, rien n’étant plus propre à élever l’âme aux régions de la poésie que la passion de l’amour. »

La patrie même de Shakspeare partageait donc l’erreur volon-