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SONNETS DE SHAKSPEARE.

sa maîtresse, et il s’écrie ; « Pourtant, croyez-moi, elle est aussi belle que pas une enfant de femme… Mais à quoi bon vanter ce que je ne veux pas vendre ? »

Son bonheur dure jusqu’au trente-deuxième sonnet. Voilà pourtant ce que c’est que le bonheur ! surtout le bonheur d’aimer et d’être aimé, le plus doux de tous et le plus court ! On n’a pas plus tôt fait quatorze sonnets, que voilà déjà que les chagrins arrivent ! Dans le trente-troisième il commence à se plaindre que le soleil qui l’éclairait a voilé sa face ; le trente-quatrième débute par les reproches de l’amant, puis viennent les regrets de la maîtresse ; — mais le chagrin de l’offenseur n’est qu’un faible soulagement pour celui qui porte la lourde croix de l’offense. — Pourtant, ce sont des perles que répand ton amour, elles ont assez de prix pour racheter tout péché. — Ce sonnet, à lui tout seul, n’est-ce pas une scène charmante ? ces reproches de l’amant blessé, le repentir de la jeune femme qui, croyons-le cette fois, n’a été qu’un peu coquette et légère ; sa promesse, à deux genoux s’il le faut, de ne plus retomber dans la même faute ; le jeune homme persistant tant qu’il peut dans son ressentiment et s’excitant à la fermeté, mais ne pouvant résister à la vue des larmes de celle qu’il aime, et la relevant pour la presser sur son cœur, n’est-ce pas là un délicieux chapitre de roman ? et ne vous revient-il pas à la mémoire cet air ravissant de Zerlina, Batti, batti, o bel Mazetto, dans le Don Juan de Mozart ? N’est-il pas touchant de le voir, dans le sonnet suivant, occupé à la consoler de cette faute, ingénieux à la réconcilier avec elle-même ? Hélas ! hélas ! les quarante-unième et quarante-deuxième nous apprennent que c’est son jeune ami qui a rendu sa maîtresse infidèle ! Ce coup si sensible, il le reçoit avec une résignation cent fois plus attendrissante que toutes les fureurs ordinaires en pareil cas : — Vous vous aimez, leur dit-il, parce que vous savez que je vous aime tous deux. — Dans le quarante-troisième, une seule particularité utile à compléter son portrait : plus je cligne des yeux et moins je vois…

Ici, dans mon roman, le récit devra un moment s’interrompre. Les voilà séparés ; elle est partie ; lui-même part aussi plus tard. Où sont-ils allés l’un et l’autre ? quel motif les a forcés de se quitter ? On ne sait ; mais que nous importe, à nous ? L’essentiel, c’est qu’ils