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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

les sons et entendent les couleurs, jusqu’à ce qu’ils conçoivent l’absolu.

Je crois que cette tentative à concevoir intellectuellement l’absolu clôt la carrière philosophique de M. Schelling. Un plus grand penseur s’avance maintenant, qui a résumé la philosophie de la nature en un système solide, expliqué par cette synthèse tout le monde des faits, complété les grandes idées de son prédécesseur par des idées plus grandes, qui l’a introduite dans toutes les disciplines, et l’a par conséquent fondée scientifiquement. C’est un élève de M. Schelling qui, après s’être emparé, dans le domaine de la philosophie, de toute la puissance de son maître, a dépassé celui-ci, et fini par le rejeter dans l’obscurité. C’est le grand Hegel, le plus grand philosophe que l’Allemagne ait enfanté depuis Leibnitz. Il ne faut pas demander s’il domine de beaucoup Kant et Fichte. Pénétrant comme le premier, vigoureux comme le second, il possède en outre une tranquillité d’esprit constitutrice, une harmonie de pensée que nous ne trouvons pas chez Kant ni chez Fichte, parce que l’esprit révolutionnaire règne davantage chez ces derniers. On ne peut non plus comparer cet homme à son ci-devant maître M. Joseph Schelling, car Hegel était un homme de caractère ; et quoiqu’il ait, comme M. Schelling, prêté au statu quo de l’état et de l’église quelques justifications trop préjudiciables, il le fit, lui, pour un état qui rend hommage, du moins en théorie, au principe du progrès, et pour une église qui considère comme son élément vital le principe de libre examen ; et il a avoué toutes ses intentions. M. Schelling, au contraire, rampe dans les antichambres d’un absolutisme aussi pratique que théorique, et dans les antres du jésuitisme, il aide à forger des chaînes intellectuelles ; et puis il veut nous faire croire qu’il est toujours et invariablement le même qu’il fut jadis : il renie même sa qualité de renégat, et à l’opprobre de la défection il ajoute encore la lâcheté du mensonge.

Nous ne le dissimulons pas, aucun motif de piété ou de prudence ne nous engage à le taire : le penseur qui jadis développa le plus hardiment en Allemagne la religion du panthéisme, celui qui proclama le plus haut la sanctification de la nature et la réintégration de l’homme dans ses droits divins, ce penseur s’est fait l’apostat