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Dante.

nommée Mugello, ils furent obligés de le lever avec précipitation à l’approche de l’ennemi, au pouvoir duquel ils laissèrent dix-sept prisonniers. De ces dix-sept prisonniers, dix étaient des hommes obscurs : tous les autres appartenaient à des familles distinguées de Florence. Les vainqueurs leur firent couper la tête à tous, donnant de la sorte un exemple de cruauté jusque là inoui dans l’histoire des factions de la Toscane.

Dante en fut vivement ému : on en a la preuve dans une canzone qui se rapporte, selon toute probabilité, à cet évènement. Les défauts ne manquent pas dans cette pièce, surtout les traits de rudesse, le vague et l’obscurité. Je crois néanmoins pouvoir en citer quelques vers, où respire une indignation qui fait honneur à l’humanité du poète. — « Ô patrie, s’écrie-t-il, digne (naguère) de renommée et de triomphes, mère (naguère) de cœurs magnanimes, te voilà aujourd’hui plus dolente que Rome ta sœur, et tellement avilie que celui qui t’aime en honneur, entendant raconter tes ignobles faits, se consume de douleur et de honte… » — « Tu régnais contente dans le beau temps où les tiens voulaient que les vertus fussent tes colonnes. Séjour de bravoure et de gloire, modèle de loyauté et d’union, asile du savoir, tu étais heureuse. Te voilà aujourd’hui dépouillée de ces ornemens, vêtue de douleurs, couverte de plaies, privée de tes Fabricius. Te voilà abjecte, féroce ennemie de toute réconciliation. Ô (cité) déshonorée, caverne de factieux ! quoi ! tu livres à tes bourreaux ceux contre lesquels tu disais vouloir combattre ! Tu les punis d’avoir abandonné l’enseigne du lis, maintenant veuve (des siens) ! Certes, ceux-là pourront bien trembler que tu feras désormais prisonniers ! »

L’aventure de Carlino de Pazzi est aussi un des épisodes de cette malencontreuse campagne. Carlino était un des Blancs de Florence à qui les chefs du parti avaient confié la garde d’un château du val d’Arno, nommé le château de Pianotravigne. De là, comme d’un poste de sûreté, les Blancs-Gibelins faisaient de fréquentes excursions sur le territoire florentin. Les Noirs y envoyèrent des troupes qui l’assiégèrent tout un mois, sans pouvoir le prendre. Les assiégeans allaient se retirer, lorsque Carlino leur vendit la place, et leur livra les assiégés, dont les uns furent égorgés, les autres pris. Dante n’oublia pas cette trahison : nous rencontrerons un jour Carlino de Pazzi dans un des cercles les plus horribles de l’enfer, et nous serons préparés à cette justice poétique.

Les avantages des Florentins ne se bornèrent pas à ceux que je viens d’indiquer : ils prirent, dans les gorges des Apennins, beaucoup de châteaux des Ubaldini, des Gherardini, et des autres vieux chefs gibelins, seigneurs féodaux de la contrée ; ils ravagèrent partout leurs terres, et