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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

Parmi les disciples de Kant domina de bonne heure Johannes Gottlieb Fichte.

Je désespère presque de donner une idée exacte de l’importance de cet homme. Chez Kant, nous n’avons eu à examiner qu’un livre ; ici, indépendamment du livre, il nous faut encore tenir compte de l’homme : dans cet homme, la pensée et la volonté ne font qu’un, et c’est dans cette gigantesque unité qu’elles agissent sur le monde contemporain. Nous n’avons donc pas seulement à examiner une philosophie, mais encore un caractère qui en est comme la condition ; et pour comprendre leur double influence, il faudrait retracer toute la situation de cette époque. Quelle tâche immense ! On nous excusera sans doute pleinement si nous ne donnons ici que des indices superficiels.

Il est d’abord très difficile de donner une idée de la pensée de Fichte. Nous rencontrons ici des difficultés toutes particulières ; elles naissent, non pas seulement du fond, mais de la forme et de la méthode, deux choses qu’il nous importe le plus d’expliquer aux étrangers. Commençons donc par la méthode de Fichte. Il emprunta dans les premiers temps celle de Kant ; bientôt cette méthode se changea à cause de la nature du sujet. Kant n’eut à produire qu’une critique, c’est-à-dire quelque chose de négatif, et Fichte eut bientôt un système, par conséquent une chose positive. Ce défaut de système entier fit qu’on refusa plus d’une fois à la philosophie de Kant le titre de philosophie. En ce qui touchait Kant lui-même, on eut raison, mais non pas à l’égard des kantistes qui tirèrent des traités de leur maître des matériaux pour une quantité suffisante de systèmes. Dans ses premiers écrits, Fichte demeura, comme je l’ai dit, entièrement fidèle à la méthode du maître, au point qu’on put attribuer à celui-ci son premier traité, qui parut anonyme. Mais comme Fichte produit plus tard un système, il entre avec ardeur dans la passion de la construction, et quand il a construit tout le monde, il commence avec la même opiniâtreté à démontrer ce qu’il a construit. Qu’il construise ou qu’il démontre, Fichte manifeste une passion pour ainsi dire abstraite. Ainsi que dans son système, la subjectivité domine bientôt dans son enseignement. Kant, au contraire, étend la pensée devant lui, en fait l’analyse, la dissèque jusque dans ses fibrilles les plus menues, et