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feignit une ardente colère, et s’emporta contre les Blancs en menaces terribles qui retentirent dans tout Florence. À ces menaces, les Blancs épouvantés se prirent à s’enfuir de tous côtés, et les plus nobles ou les plus riches étaient ceux qui fuyaient le plus vite. Quand ils furent partis pour la plupart, Charles les fit citer par-devant lui, et condamner comme rebelles pour n’avoir pas comparu. Leurs biens furent confisqués, leurs palais de ville et leurs maisons de campagne démolis.

Ceux qui, plus confians ou plus braves, ne furent pas si prompts à fuir, n’y gagnèrent rien. Cités et comparaissans, ils furent comme les autres bannis, et leurs biens confisqués et dévastés. Le nombre des proscrits fut de plus de six cents, sans compter les enfans et les femmes. La somme des biens qui revint de toutes ces confiscations au gouvernement de Florence fut énorme : Charles de Valois en eut vingt-cinq mille florins d’or pour sa part. Ce fut ainsi que ce prince termina sa mission de pacier en Toscane.

Dante, bien que déjà condamné par une sentence particulière, antérieure d’une vingtaine de jours à cette proscription générale des Blancs, n’en fut pas moins, à ce qu’il paraît, compris dans cette dernière. Il semble que ceux qui proscrivaient avaient peur de le manquer. Il fut, comme les complices de Pierre Ferrant, cité par-devant Charles de Valois, et comme eux condamné pour n’avoir pas comparu. Alors fut pillée et démolie, si elle ne l’avait déjà été, sa belle maison de Florence ; alors furent dévastées les métairies qu’il avait en divers cantons du territoire florentin ; alors, enfin, son sort fut décidé : il était banni, ruiné, proscrit.

On conçoit les réflexions amères qui durent assaillir le poète. Celles qui avaient rapport à sa famille n’étaient sans doute pas les moins douloureuses. Il y avait à peine dix ans qu’il était marié, et il avait déjà cinq enfans, dont l’aîné, nommé Jacques, ne pouvait guère avoir plus de neuf ans, et dont le dernier était une fille, encore à la mamelle, à laquelle il avait donné le nom de Béatrix, comme pour se rendre plus chers encore et plus sacrés les souvenirs et les sentimens attachés à ce nom. Il lui fallait abandonner tous ces enfans au moment où ils avaient le plus besoin de lui, exposés à manquer de pain, et n’ayant plus de protecteur que leur mère ; car il ne laissait à Florence d’autre parent qu’un jeune neveu, nommé François, incapable de rendre de grands services à ses cousins en bas-âge.

Une circonstance qui devait lui rendre sa proscription plus cruelle, c’était de n’y avoir pour compagnons que des hommes dont il méprisait généralement le caractère, et à la capacité desquels il avait peu de foi. Il est douteux que, parmi tous ces hommes, il y en eût un seul pour le-