Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
REVUE DES DEUX MONDES.

On a de lui un sonnet des plus mauvais, mais curieux par son motif, où il semble faire allusion, bien que d’une manière assez obscure, à ce voyage et en général à toute la conduite du prince envers les Blancs. C’est une prière, dans laquelle le poète s’adresse à Dieu en termes assez mystiques : — « Seigneur, lui dit-il, si tu vois mes yeux avides de pleurer pour tous ces malheurs auxquels je sens mon cœur défaillir, rassasie aussi, je t’en conjure, rassasie de larmes celui qui, après avoir immolé la justice, se réfugie auprès du grand tyran dont il a sucé tout ce poison qu’il vient de répandre, et dont il voudrait inonder le monde. »

En parlant ainsi de Boniface viii et de Charles de Valois, Dante ne savait pas encore tout le mal qu’ils devaient lui faire : il n’était pas encore proscrit. Ce ne fut que vers la fin de janvier 1302, que le gouvernement des Noirs chercha à tirer parti de la loi rétroactive rendue contre les Florentins qui avaient exercé le priorat avant l’arrivée de Charles de Valois. Cante de’ Gabrielli, ce nouveau podestat de la création du prince français, prononça contre plusieurs d’entre eux une sentence dans laquelle figuraient nominativement Dante et Palmieri degli Altoviti, qui avait peut-être été son collègue au priorat.

Le texte original de cette sentence, retrouvé dans les archives de Florence, a été publié plusieurs fois, de sorte que l’on en connaît la teneur précise. Dante et tous ceux qui y sont impliqués y sont accusés, d’après la voix publique, de deux crimes distincts, commis par eux dans l’exercice de leurs fonctions de prieurs : d’abord de s’être opposés à la mission de Charles de Valois, et, en second lieu, d’avoir trafiqué de leur autorité et de s’en être fait un moyen de gains illicites. Chacun des accusés était condamné à comparaître devant le podestat, dans un délai de quarante jours, qui expirait le 10 mars suivant, et de payer dans le même délai une amende de huit mille livres. Si l’accusé comparaissait et payait l’amende, il n’en devait pas moins s’en aller pour deux ans en exil hors des confins de la Toscane. S’il ne comparaissait ni ne payait, il avait par cela seul encouru la confiscation de tous ses biens et le bannissement perpétuel. — Il y a plus d’une observation à faire sur cette sentence.

1o  La formule de l’accusation par la voix ou la renommée publique était empruntée des fameuses ordonnances démocratiques, dites les ordonnances de justice. Or, d’après ces ordonnances, deux témoignages non débattus suffisaient pour constituer ce que l’on nommait la voix ou la renommée publique.

2o  En ce qui concerne l’opposition à la mission de Charles de Valois, l’accusation était aussi vraie qu’honorable pour Dante. Elle confirme hautement et d’une manière irrécusable le témoignage de ceux des historiens