Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/617

Cette page a été validée par deux contributeurs.
613
LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

sacrifier le garde des sceaux, qu’il savait avant tout lui être dévoué. L’injure était grave. Avoir trahi des collègues, rapporté à des tiers, et au profit d’une autre combinaison ministérielle, ce qui s’était passé dans le conseil des ministres et au foyer domestique de M. de Rigny ! en Angleterre de telles injures auraient été suivies de rencontres sanglantes : mais on était habitué aux disputes, aux gros mots, dans le sein du conseil ; il serait même curieux d’écrire l’espèce d’histoire de halle qui avait précédé le renvoi du maréchal duc de Dalmatie : M. Persil serra la main de M. de Rigny, et tout fut fini pour la réconciliation.

Avant même qu’il fût question d’un remaniement complet du ministère, MM. Thiers et Guizot avaient admis, pour la présidence du conseil, le maréchal Mortier à défaut de M. de Broglie. M. Molé ne pouvant convenir désormais à la combinaison, puisque M. de Rigny restait aux affaires étrangères, tout le mouvement se tourna vers le vieux duc de Trévise, non moins bien placé dans l’esprit du roi que le maréchal Gérard. L’amitié de Louis-Philippe pour le maréchal Mortier date de loin. Quand, duc d’Orléans, il quitta la France en 1815, pour ne point subir le joug de l’usurpateur, le roi actuel écrivit au maréchal une lettre pour le dégager de son serment, une fois les frontières franchies. Le roi se souvient de ses vieilles relations, et le choix du duc de Trévise le flattait d’autant plus, qu’une telle présidence du conseil, création nominale, lui laissait tout le pouvoir de fait. Le duc de Trévise avait une fois déjà refusé la présidence ; quand il fut convenu qu’on la lui offrirait encore, le roi redoubla ces instances qu’il sait employer quand il veut rattacher un homme à ses idées. Les négociations durèrent plusieurs jours ; on fit des offres de toute espèce au maréchal, et la plus étrange sans doute fut celle qui lui conserva la grande chancellerie de la Légion-d’Honneur, avec le poste de premier ministre ; et encore fallut-il que le roi suppliât et demandât cette acceptation comme un service personnel. Ces moyens-là s’usent ; un roi qui est obligé de supplier pour faire accepter un ministère est dans une fâcheuse position ; il altère les prestiges et les ressorts de l’autorité royale, il fait du pouvoir une charge et non un honneur et un devoir ; il rend l’autorité impossible.

Ce fut chez M. Thiers que le maréchal Gérard porta la nouvelle de l’acceptation du maréchal Mortier, auprès duquel il avait été dépêché par le roi. Il y avait, dans le salon de madame Dosne, M. Guizot, appuyé sur une causeuse ; un peu plus loin, la jeune madame Thiers, à côté de M. de Rigny, et deux amis de la maison. Le maréchal dit un mot à l’oreille de M. Thiers, puis celui-ci communiqua la nouvelle à ses deux collègues, et tous se rendirent au château.