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DES ORIGINES DU THÉÂTRE EN EUROPE.

D’ailleurs, messieurs, si je proclame sans hésiter la barbarie des idiomes au moyen-âge, je ne fais pas aussi bon marché de l’imagination de cette époque, ni même de sa poésie, en prenant ce mot dans le sens le plus général. Il importe à la grande thèse de la perfectibilité humaine de montrer comment au moyen-âge, malgré la décadence du langage, l’imagination et la poésie n’ont pas pour cela cessé d’être en progrès ; il importe de montrer comment le génie poétique, pour suppléer au moyen d’expression qui lui manquait, s’est appliqué à s’en créer d’autres ; comment, à défaut de la langue, il a eu recours à la peinture, à la musique, à la sculpture ; comment surtout il a magnifiquement traduit ses pensées dans cette langue qui précède toutes les autres et qui leur survit, dans la langue monumentale. En effet, quand cet âge si profondément ironique et enthousiaste n’a pu exprimer ses soupirs par des paroles, il les a fait moduler par l’orgue ; quand les mots ont manqué à ses pensées tantôt célestes et tantôt mondaines, il les a sculptées dans la pierre ou fait étinceler sur les vitraux.

Rechercher tous ces équivalens, restituer cet harmonieux ensemble d’une poésie qui n’est plus, c’est accomplir une œuvre philosophique ; car c’est rétablir un des anneaux brisés de la perfectibilité humaine, et démontrer son existence là où seulement on peut encore raisonnablement la contester, dans le domaine de l’imagination et des beaux-arts.

Ce sera déjà un commencement de réhabilitation pour le moyen-âge que de mettre hors de doute l’existence du génie dramatique pendant sa durée.

Au reste, messieurs, les courtes excursions que je projette sur le terrain des beaux-arts ne sont pas des hors-d’œuvre. Je ne remplirais qu’une faible partie de ma tâche, si je vous présentais ces textes arides et incorrects, dépouillés de l’accompagnement dont l’imagination contemporaine les avait entourés et où elle avait déposé plus particulièrement sa poésie. Je serais infidèle à la vérité, si je voulais vous donner l’idée de ces splendides opéras de moyen-âge par les seuls pauvres libretti qui nous en restent. Je dois, pour ne pas calomnier l’art de cette époque, rendre leur pompe à ces drames et faire en sorte de leur restituer leur mise en scène.