Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/592

Cette page a été validée par deux contributeurs.
588
REVUE DES DEUX MONDES.

théocratique dans l’origine et le développement du drame antique, que quelques personnes s’étonneront peut-être de nous voir trouver la source la plus vive, la plus abondante et la plus poétique du théâtre moderne dans les couvens des ixe et xe siècles et dans les antiphoniers des cathédrales des xie et xiie siècles. L’étonnement redouble quand on songe combien la discipline catholique depuis les constitutions des apôtres et les plus anciens conciles jusqu’à ce jour, s’est montrée ardente à combattre et à anathématiser les jeux scéniques. Il n’y a là pourtant qu’une apparence de contradiction. À part la grande lutte du christianisme et du paganisme, les choses se sont passées au moyen-âge, absolument de la même manière que dans l’antiquité. En Grèce, pendant l’époque hiératique, c’est-à-dire, depuis les premiers temps jusqu’à Solon, les fêtes religieuses, au rapport d’Hérodote, furent accompagnées de danses figurées, et d’actions dramatiques. Une des particularités les moins contestées des anciens mystères, c’est que l’hiérophante cherchait à agir sur l’imagination des initiés par des tableaux et des représentations figuratives. Quand le sacerdoce du polythéisme, qui n’eut jamais la force ni l’unité du sacerdoce chrétien, eut laissé sortir de ses mains le monopole des arts, Thespis, sur des traiteaux assez semblables à ceux de nos confréries, et enfin Eschyle, sur une scène plus convenable, dotèrent la Grèce d’un théâtre national, quoique toujours en partie hiératique. L’impulsion théocratique que reçut, à sa naissance, le théâtre grec et romain, fut si forte que, même après la complète sécularisation de l’art, après l’abolition du chœur, après l’invasion des idées chrétiennes, même à Constantinople, et dans les provinces asiatiques, même sous Théodose et Justinien, au temps de la plus grande corruption de la scène, le théâtre ancien conserva toujours d’ineffaçables traces de son origine polythéiste et sacerdotale.

Au reste cette influence du clergé sur le drame, et généralement sur la poésie et les arts, n’est pas un fait particulier aux populations grecques et italiques. Cette influence est une loi sociale, absolue, universelle, une conséquence de l’état hiératique par lequel passe toute société. Durant cette époque, le sacerdoce ne se contente pas de dominer les intelligences, il cherche à subjuguer les imaginations et à s’emparer à la fois de toutes les facultés humai-