Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
REVUE DES DEUX MONDES.

Quoi qu’il en soit, Dante fut l’un des trois nouveaux ambassadeurs qui partirent en grande hâte, allant supplier Boniface viii de ne point envoyer Charles de Valois à Florence. Mais tandis qu’ils allaient, le sort de Florence était déjà décidé. Le pontife avait conféré à loisir avec le prince français de ses projets sur la Toscane, et tout était fixé entre eux à cet égard. Par une bulle solennelle, donnée à Anagni le 3 des nones de septembre 1301, le prince avait été investi du titre de pacier (Paciaro) de la Toscane, titre emprunté des institutions de la Trêve de Dieu, dans le midi de la France, et de tout point équivalent à celui de pacificateur. Avec cette mission patente, énoncée en termes vagues, généraux, paternels, il avait reçu des instructions secrètes plus précises. Les faits vont nous dire quelles étaient ces instructions.

Arrivés à Rome, les députés florentins se présentèrent devant Boniface viii. Celui-ci les accueillit avec tous les semblans de la bienveillance ; mais il n’écouta aucune de leurs propositions. — « Laissez-moi faire, et vous serez contens. Fiez-vous à moi, et tout ira bien pour tous. » — Tels furent en résumé tous ses discours ; et là-dessus il donna congé à deux des ambassadeurs, en leur recommandant d’aller exhorter les leurs à la confiance et à la soumission. Mais il retint Dante auprès de lui. C’était agir adroitement : il renvoyait à Florence deux hommes faibles et trompés, qui ne manqueraient pas d’en tromper d’autres en prêchant l’obéissance, et il ôtait au gouvernement florentin l’homme qui lui avait suggéré une résolution courageuse, et qui aurait pu l’y soutenir. D’un autre côté, il pressait vivement le départ de Charles de Valois pour la Toscane.

L’arrivée et la conduite du prince à Florence y devaient être pour lui un éternel sujet d’opprobre, et pour Florence le signal de bouleversemens désastreux. Je pourrais me dispenser d’ouvrir ces tristes pages d’une histoire où j’ai déjà signalé assez de calamités et de désordres. Toutefois ces pages ne sont pas entièrement étrangères à mon sujet : on peut y voir quels malheurs Dante avait voulu éviter à son pays, en tâchant de lui épargner la visite du prince qui avait accepté d’un pape superbe et rancuneux une mission de vengeance et de trahison. Je tâcherai seulement d’être court, et de réduire, autant que possible, l’histoire aux proportions de la biographie.

Charles de Valois partit de Rome dans les premiers jours d’octobre, et prit la route de Florence à la tête d’une troupe de huit cents à mille gens d’armes ou chevaliers français, commandés par des seigneurs de distinction. Cette troupe se renforçait chaque jour en chemin de nobles et d’aventuriers italiens, parmi lesquels se trouvaient des hommes qui s’étaient fait un renom de bravoure guerrière ou de capacité politique, tels que