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CONVERSATIONS DE CHÂTEAUBRIAND.

La Bible et les beaux chants d’église, le Dies iræ, cette effrayante peinture du jour terrible, terminée par le cri sublime de la prière, m’émeuvent aussi d’admiration. Quelques cantiques encore sont d’une admirable poésie. Ce spectre qui se lève et dit (et ici M. de Châteaubriand chantait sur un ton lugubre) :

Arrête-toi, passant, contemple ma poussière ;
Il ne me reste rien de ma beauté première.
Vois l’état où la mort m’a mis.
Je n’ai plus mes parens, mes biens, ni mes amis.
...............
On doute en me voyant si j’ai jamais été.
...............
La mort ne m’a laissé que les os. ....
...............

« Ces vers sont d’un curé obscur ; mais les derniers prouvent que ce curé était un vrai poète. — Il y a dans la vieille musique d’église quelque chose d’insaisissable pour nos modernes musiciens et d’insoumis aux règles des artistes, qui en fait une harmonie céleste. Rien ne m’attendrit comme le chant des psaumes ; c’est une inexplicable mélodie. »

Tels étaient les flots de son ame qu’il épanchait souvent en quelques ames choisies et dignes de les recueillir. Mais qui nous dira ce qu’il exhalait de ces parfums de poésie vers le ciel seulement, ce qu’il n’en confiait qu’à Dieu ; car, pour moins vivre avec la solitude, il n’avait pas déserté le culte de cette vraie divinité du poète ? Cette maîtresse qu’il avait aimée vingt-cinq ans, il l’aimait encore, malgré qu’il en eût, et il revenait à elle toujours. Tout le temps qui s’écoula depuis son arrivée à Londres jusqu’à son départ pour le congrès de Vérone, il n’y eut pas un jour où il ne se dérobât au tumulte de la grande ville et à la préoccupation des affaires, afin, d’aller passer solitairement plusieurs heures dans les jardins de Kensington.

Là, il rencontrait parfois Canning que l’amour de la solitude arrachait également aux soucis de la vie publique, et ils se promenaient ensemble longuement. Qui nous dira aussi les entretiens de ces deux hommes d’état, ce qu’ils échangeaient de nobles pensées,