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il y avait de quoi contenter les plus difficiles. La concision antique du Dieu des bonnes gens, la prose majestueuse de l’Indifférence, la phrase coquette de Cinq-Mars et de Stello, la période flottante et brodée de Notre-Dame, auraient désarmé les répugnances les plus entêtées. Ces noms-là sont admirés par les intelligences sévères. Ils n’ont pas la vogue, ils auront la gloire.

L’Académie craint-elle de se compromettre auprès du ministère en proclamant la beauté biblique des Paroles d’un Croyant ? tient-elle à garder l’amitié de monseigneur l’archevêque ? a-t-elle calculé le nombre de sinécures qui lui échapperaient par un pareil choix ?

Répudie-t-elle Béranger comme la cour a répudié Dupont de l’Eure ? Ce n’est pas de sa part pruderie littéraire ; c’est tout simplement couardise politique. Béranger, dans sa naïveté indépendante, a côtoyé tous les systèmes poétiques sans se ranger dans aucune école. Il a traversé les partis qui prêchaient l’alexandrin de Voltaire, et ceux qui tentaient la croisade pour l’alexandrin de Régnier, mais il n’a jamais écrit une préface offensive. Il est seul, il n’exclut personne, et personne ne peut l’exclure. — Mais l’Académie ne veut pas déplaire aux ministres d’aujourd’hui, aux anciens amis de Béranger.

Pour Alfred de Vigny et Victor Hugo, les scrupules sont plus intelligibles, mais ne sont pas plus honorables. À moins de redouter la contagion des hommes laborieux, je ne vois pas d’excuse pour l’exclusion de ces deux noms. Cinq-Mars et Stello sont deux beaux livres ; est-ce un crime irrémissible aux yeux de M. Brifaut et de l’abbé Féletz ? est-ce que l’auteur de Ninus ii ne veut pas d’un pareil voisinage ?

Quel que soit le partage des avis sur l’orthodoxie de M. Hugo, on ne peut contester sa puissance. Qu’on mette ses odes au-dessus de ses romans, ses romans au-dessus de ses drames, la chose est naturelle et ne peut étonner personne ; mais nier la réalité de son énergie, nier la trouée qu’il a faite dans la poésie moderne, nier les questions qu’il a soulevées ou résolues depuis dix ans, c’est résister à l’évidence, résister au bon sens.

Au lieu d’appeler Béranger, Lamennais, Alfred de Vigny ou Victor Hugo, que fait l’Académie ? Elle courtise tour à tour tous les noms que lui désigne le caprice populaire. Aujourd’hui c’est un