Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/565

Cette page a été validée par deux contributeurs.
561
HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

L’Académie française, en appelant dans son sein l’auteur de l’Ambitieux, a prouvé, pour la centième fois, qu’elle ne domine pas l’opinion publique, mais cède lâchement aux préjugés de la foule. Pauvre vieille, elle a cru se rajeunir en plaçant le nom d’un couplétier entre Lamartine et Chateaubriand ; elle a espéré ressaisir dans la personne de M. Scribe la popularité qui lui échappe. Les candidats ne manquaient pas ; elle a préféré dans son égoïsme imprévoyant le moins littéraire de tous.

Elle a vu dans le signataire industrieux du répertoire Bonne-Nouvelle une garantie contre les railleries. Qui sait ? peut-être a-t-elle voulu éviter d’être chansonnée. L’Académie a fait les frais de plus d’un vaudeville final ; elle se sera dit : Prenons le couplétier, et les couplets se tairont. C’est aujourd’hui le nom le plus populaire, il est affiché tous les matins sur les murs de Paris ; il a réussi : allons à lui.

C’est-à-dire qu’elle s’agenouille devant le succès. Une société qui se prétend le premier corps littéraire de France, qui devrait réunir l’élite des écrivains, se prête servilement aux caprices des salons. Elle ne s’enquiert pas de la valeur individuelle d’un candidat : elle a mis Viennet au-dessus de Benjamin Constant ; elle met Scribe au-dessus de Ballanche.

Son devoir est de consacrer par son suffrage les noms que la foule n’a pas encore acceptés, d’aller au-devant des gloires modestes, d’appeler ceux qui travaillent dans le silence, d’élever ceux qui sont grands, mais qui ne se montrent pas, de forcer le succès, de commander et non d’obéir. Si elle est à la tête de la littérature, sans doute ce n’est pas pour recevoir les avis d’en bas. La résignation impuissante derrière laquelle elle s’abrite ne retardera pas d’un jour son discrédit : ce n’est pas en cédant qu’on se fortifie.

Il fallait abandonner aux vendeurs de refrains la renommée de M. Scribe ; il fallait laisser au temps le soin d’user ce nom, qui n’a pas trois ans devant lui, et prouver sa fierté par son dédain. La popularité d’un pareil nom n’est, pour un monument lézardé comme l’Académie, qu’un recrépissage inutile, qui tombera sous la première pluie.

Pourtant les grands noms ne manquaient pas. Depuis Béranger jusqu’à Lamennais, depuis Alfred de Vigny jusqu’à Victor Hugo,