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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

comme il a percé à jour, comme il nous a révélé le secret des fortunes politiques ! À quoi tient pourtant le bonheur des nations ?

Tous les personnages sont intéressans, depuis le roi qui a besoin d’un prestidigitateur italien pour s’emparer du mouchoir de sa maîtresse, jusqu’au médecin qui se laisse peu à peu corrompre par l’air empoisonné de la cour. Robert a des retours pleins de profondeur et de clairvoyance ; il excelle dans les monologues ; il s’enseigne à lui-même, avec une complaisance vraiment exemplaire, toute la détresse de sa situation ; il se maudit, il se méprise avec une bonne foi sans réserve.

La comtesse de Sunderland est un caractère très habilement jeté ; c’est une figure mélancolique très ingénieusement placée entre le roi, le ministre et le médecin ; elle s’élève jusqu’aux plus hautes régions de la poésie, et colore la pièce tout entière d’un rayon lumineux d’idéalité.

Et le style ! il est plus merveilleux encore que l’action et les caractères ! Comme il est imagé, concis, expressif ! Comme les contours de la phrase sont dessinés ! Comme les pensées se déduisent ! Comme les sentimens vous saisissent et vous maîtrisent ! Comme le rire et les larmes s’échappent alternativement des moindres paroles ! Comme chaque chose est dite, et comme il serait impossible de le dire autrement ! Quelle précision, quelle justesse, quelle nécessité ! Comme l’auteur se joue agréablement des exigences quinteuses de la syntaxe ! Comme il cravache la langue qui lui résiste ! Comme il est familier avec noblesse ! Tous les âges de notre littérature sont glorieusement représentés dans cette mémorable comédie ; la soudaineté de Montaigne, la netteté de Pascal, la clarté de Voltaire, tout cela en trois heures ! C’est un abrégé de toutes les perfections !

Pourquoi M. Scribe s’est-il montré si sévère aux caprices de notre langue ? Pourquoi n’a-t-il pas obéi aux lois de cette maîtresse souveraine qui sait régenter jusqu’aux rois ? Pourquoi n’a-t-il pas fléchi le genou devant la grammaire ? Belles questions vraiment ! Quand on est, comme M. Scribe, seigneur absolu de toutes les pensées qui se récitent, se chantent ou se dansent dans toute l’étendue de la capitale ; quand on a brillé, comme lui, dans le ballet, le mélodrame et le vaudeville, est-ce qu’on a le temps de penser à de