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précédemment, il avait enfreint son ban, et que l’exil perpétuel prononcé dans cette seconde condamnation était motivé par cette infraction.

Tous les biographes de Dante qui ont écrit d’après les traditions du temps ou d’après des documens authentiques aujourd’hui perdus, sont d’accord pour attribuer à son influence et à son autorité personnelle ce double coup frappé au même instant sur les deux factions qui troublaient Florence, et je ne vois point de raison de contester leur témoignage. En sévissant contre son propre parti, notre poète n’avait pu être inspiré que par de nobles motifs ; mais il était sans doute loin de prévoir les regrets amers qu’il se préparait par cette rigueur. Guido Cavalcanti était déjà malade quand il fut banni, et dans le mauvais air de Sarzana, son mal empira rapidement. Il obtint, au bout de peu de temps, la permission de revenir à Florence ; mais il était trop tard : il languit encore quelques jours, et mourut regretté de tous.

Dante cessa ses fonctions de prieur de la république le 15 août de cette même année 1300, mais ce ne fut pas pour rentrer dans le repos de la vie domestique. Son pays avait de plus en plus besoin de lui. Les Noirs exilés à la Pieva avaient enfreint leur ban ; ils avaient tous couru à Rome, où ils entretenaient par toutes sortes de menées et de propos la colère de Boniface viii contre les Blancs. Cela ne leur était point difficile, surtout à Corso Donati, que le pontife considérait et chérissait comme un noble et vaillant seigneur, qui avait été un moment à son service en qualité de gouverneur d’une des villes de la Romagne.

Inquiets des dangers croissans de leur situation, les Blancs se décidèrent à faire une démarche solennelle auprès du pontife, pour tâcher de le fléchir et d’être relevés des excommunications prononcées contre eux. Dans cette vue, ils lui envoyèrent une ambassade dont il est certain que Dante fit partie, bien qu’aucun historien ne le dise expressément. Cette ambassade dut arriver à Rome vers la fin de septembre 1300. On n’a aucun détail sur la manière dont elle fut reçue ; mais la suite des évènemens démontre assez qu’elle ne servit à rien, et que Boniface persista dans les plans qu’il avait dès-lors arrêtés.

Toutefois Dante n’eut pas lieu de se repentir d’être allé à Rome : il y jouit d’un grand spectacle, qui eut indubitablement beaucoup d’influence sur le côté poétique de ses idées. L’année 1300 était celle du jubilé institué par Boniface viii. Des flots innombrables de chrétiens de toutes les contrées de l’Europe affluaient, se heurtaient sur toutes les voies, dans toutes les rues de Rome, les uns arrivant, les autres partant, et tous unis dans une seule et même pensée, dans une seule et même espérance, tous transportés d’une même joie. Cela était assurément plus beau et plus sa-