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Mais pourrait-on, sans folie, attendre du public d’aujourd’hui une longanimité pareille ? C’est aux sens, et aux sens seulement, que s’adressent les ouvriers dramatiques ; or, si les joies de l’ame sont infinies, rien n’est plus étroit que le plaisir des sens ; c’est une vérité triviale, un aphorisme vulgaire. Si donc le public du xviie siècle avait raison d’être sérieux, attentif, persévérant, le public d’aujourd’hui a raison pareillement de se montrer dédaigneux, insouciant et blasé.

Je ne voudrais pas descendre aux détails d’une démonstration puérile ; mais pourtant je suis forcé d’indiquer sommairement les symptômes de la satiété. Il faut, pour accomplir la réforme dramatique, atteindre du même coup le public, les acteurs et les poètes ; l’ordre selon lequel s’accomplira cette réforme n’est pas difficile à prévoir : elle ira du public au poète, et du poète à l’acteur. Il est donc très important de ne laisser aucun doute sur les dispositions réelles de l’auditoire.

Voici comme se passent les choses aux soirées qu’on est convenu d’appeler solennelles ; la foule se presse au parterre ; les femmes jeunes et parées envahissent les loges ; le rideau se lève ; l’acteur entre en scène ; on n’écoute pas, on regarde. À peine si quelques oreilles obstinées essaient de deviner les premiers vers ; la salle tout entière a les yeux tournés sur la décoration. Chacun donne son avis sur l’exactitude archéologique d’une chambre sculptée ou d’une portière damassée. Il n’est personne qui, pour avoir feuilleté cent pages de Sainte-Palaye ou de Monteil, ne se croie en droit de critiquer la forme d’un chapiteau roman ou l’écusson d’un chevalier du xiie siècle. Pourtant cette érudition mondaine compose volontiers avec le décorateur ; et depuis le jour où l’on nous a donné pour un palais de l’île de Chypre l’intérieur de la cathédrale de Sienne, il n’y a plus de transaction impossible. Comme il faut au moins dans la soirée une demi-douzaine de décorations, les antiquaires de la salle ont de quoi défrayer leur petite vanité.

Quand les yeux sont las de parcourir les panneaux et les meubles de l’appartement, l’aristocratie des loges consent à s’occuper des acteurs ; mais ce n’est pas encore à l’homme que s’adresse l’attention, c’est au costume seulement. Ici l’occasion est belle pour