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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

comme autrefois la ville merveilleuse aux sons de la lyre d’Amphion. — Mon rôle est plus modeste et plus facile à comprendre. — J’écoute les poètes, je suis d’un œil vigilant leur trace glorieuse, je compte leurs pas ; et quand la foule plus rare commence à les abandonner, je leur dis simplement pourquoi la foule les abandonne. — Mais je n’ai jamais dit, et je ne dirai jamais : Mon conseil est la poésie même.

Bien que sincère dans mes avertissemens, il se peut que je n’aie pas reçu la faculté d’accomplir mes espérances. Je laisse à d’autres plus heureux le soin et la gloire de réaliser ce que je prévois. — Un exemple me justifiera. Il y a quarante-cinq ans, la royauté, on le sait, ne manquait pas de conseillers éclairés. Si la voix des philosophes n’eût pas été méconnue, la monarchie avait encore bien des années devant elle. Elle pouvait s’amender, se rajeunir dans la popularité, et commencer, d’un pas assuré, une route nouvelle et indéfinie. Est-ce à dire qu’on eût trouvé, parmi les philosophes, un garde des sceaux, un ministre de la guerre, un ministre des finances ?

Confessons-le sans colère et sans honte : de toutes les formes littéraires, la forme dramatique est aujourd’hui la moins honorée, et celle qui à cette heure mérite le moins de l’être. On écrit sans doute bien des mauvais livres ; le nombre des mauvaises pièces est encore plus effrayant. Le mal n’est pas irréparable, mais il ne faut pas le taire, si l’on veut le guérir.

Cette déchéance ne tient pas à la forme elle-même ; car, entre les noms les plus grands de l’histoire, Sophocle et Shakspeare, Calderon et Schiller, Racine et Alfieri, tiennent glorieusement leur place. Que diraient aujourd’hui ces artistes laborieux, s’ils revenaient parmi nous ? De quel œil verraient-ils l’indolence fastueuse des ouvriers qui prétendent à leur héritage ? Ce n’est pas eux qui s’étonneraient de l’indifférence publique.

Un roman, un recueil d’élégies, soulèvent pendant plusieurs mois des questions sans nombre. Les salons et les académies s’en occupent. On relit ce qu’on a d’abord admiré ; on cherche à deviner la cause de son plaisir. À chaque nouvelle épreuve, on découvre des beautés nouvelles ; on pénètre plus avant dans la pensée de l’inventeur ; on démêle des artifices de composition qui avaient