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allaient laisser à leurs remplaçans un gouvernement périlleux, celui d’une ville excommuniée, d’une ville qui avait irréparablement offensé l’irascible et fougueux Boniface viii, et où la guerre civile, suspendue comme par miracle, était à chaque instant sur le point d’éclater.

Des six prieurs qui furent élus en cette occasion, il n’y en a que cinq dont les noms nous soient parvenus, et sur ces cinq il y en a quatre de si obscurs, qu’il serait tout aussi impossible de dire un mot d’eux que de nommer les quatre premiers Florentins qui passèrent sur le pont de la Carraia le 15 juin de cette même année 1300. Le cinquième seul est connu : c’est Dante. Il semble qu’en le plaçant là, au milieu de collègues sans capacité comme sans renom, on eût voulu concentrer sur sa tête toute la responsabilité des évènemens qui approchaient.

Non-seulement les troubles continuèrent sous son priorat ; ils allaient s’aggravant tous les jours. De plus en plus assurés de la faveur de Boniface viii, et secondés par les menées du cardinal d’Aquasparta, les Noirs redoublaient de confiance et d’audace. Les chefs des Blancs, toujours sur leurs gardes et toujours plus inquiets, résolurent de se délivrer du cardinal ; n’osant pas le chasser ouvertement, ils apostèrent des hommes du peuple pour le menacer et l’effrayer. Leur manœuvre réussit à merveille ; le légat épouvanté s’enfuit, mais en renouvelant l’excommunication dont Florence avait été déjà frappée.

Les Noirs, bien que privés de son appui, ne perdirent pas contenance ; loin de là, ils prirent un ton plus arrogant, et commencèrent à parler tout haut d’un prince français qui arrivait à leur secours, et par lequel toute chose allait être remise à sa place, à Florence et ailleurs. Ces propos menaçans tenaient à une grande et funeste intrigue de Boniface viii, dont je ne puis me dispenser de dire quelques mots.

Pour assurer l’exécution de ses plans de domination politique, Boniface avait eu l’idée d’attirer en Italie un prince français, qui, à la tête d’une certaine force militaire qu’il aurait amenée, agirait d’après ses ordres, et ferait tout ce qui lui serait commandé dans l’intérêt de l’église romaine. Le prince sur lequel il avait pour cela jeté les yeux était Charles de Valois, duc d’Alençon, frère de Philippe-le-Bel. Ce prince s’était jusque-là distingué à la guerre, et Boniface ne pouvait guère trouver mieux que lui pour ce qu’il désirait.

Les négociations relatives à cette affaire avaient commencé il y avait près de cinq ans : le peu d’empressement de Charles de Valois à répondre aux désirs du pape les avait rendues fort lentes ; mais enfin, à force de bulles, d’encouragemens et de promesses plus magnifiques les unes que les autres, Boniface avait réussi, et il fut décidé que Charles de Valois,