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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

resterai-je au milieu de mes fatigues et de mes souffrances ? — Combien de temps serai-je en prison dans mon corps ?

« Mais si ma chair n’est pas ouverte par des plaies saintes d’où puisse s’échapper mon sang, que mon sang se change en larmes, et que ma vie s’écoule par mes pleurs. — Et puisse ma mort, ô mon Dieu, compter pour vous, nobles mercenaires ! puisse mon dernier soupir apaiser la colère du Seigneur ! »

Le début du second chant a quelque chose de solennel, qui rappelle les prophètes.

« Pourquoi ne puis-je être entendu de l’autre côté de la mer, lorsque je crie de loin la vérité ? Pourquoi ne puis-je être entendu lorsque je dis : — Bretons, délassez-vous du crime et écoutez la parole qui vous instruira. Vous vous plaigniez des tailles, vous les maudissiez, et vous aviez raison, sans doute, mais en quoi a-t-on amélioré votre sort ? Quelles charges avez-vous vu diminuer ? — On n’a diminué que le nombre de vos enfans !

« Les églises sont pillées, les images saintes détruites, les os des morts sont dispersés sur les chemins ; une seule cloche a été conservée dans chaque clocher, pour sonner le beffroi d’alarmes ! — Ils ont raison, qu’ils sonnent ; qu’ils sonnent le tocsin du feu pour tout le genre humain !

« Pour argent, vous avez du papier ; vos terres sont en friche ; les denrées sont rares ; la guerre tue vos frères ; la Convention vous pille et ne vous laisse rien ; — je me trompe, elle vous laisse deux yeux pour pleurer !

« On mesure votre grain : on vous pèse votre faim ; la réquisition enlève vos chevaux, vos équipages, et, si vous vous plaignez, — regardez bien qui vous écoute !

« Le chêne de la liberté, ce symbole de la révolution, qui devait être greffé sur le grand arbre du paradis terrestre, que vous a-t-il produit jusqu’à présent ? — Esclavage et misère ! — Vous voilà libres, il est vrai, égaux surtout ; — égaux en souffrances, égaux en déceptions.

« Vous dissimulez en vain, hommes de la révolution, vous vous parez de votre orgueil ; mais votre esprit a bien de la peine à payer votre cœur : votre civisme est de la contrainte ; un seul est heureux, mille souffrent et pleurent. »