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êtes née ; bénie soyez-vous, créature charmante. Vous savez frapper jusqu’à blesser ; mais vous savez aussi les remèdes qui guérissent les blessures. »

Alors le mariage est convenu. Le cloarec renoncera à ses études et à ses projets ; il laissera repousser ses cheveux demi-tonsurés ; il reprendra le petit chapeau à chenilles bariollées ; il placera un berceau sous son vieux crucifix de plâtre ; il devait être un prêtre, et il redeviendra un homme : — un homme heureux s’il en est dans le pays.

Et tout entier à ce nouveau rêve, il va, il court le long des vallées, tout saisi et tout triste de sa joie ; il va écoutant le bruit des moulins, les chants des laveuses, les cris des enfans dans les vergers fleuris, et il se dit : — Voilà mon univers maintenant ; je suis de la terre aussi, maintenant ; j’aurai parmi ces femmes une femme qui chantera, parmi ces enfans des enfans qui joueront et crieront joyeusement. Je suis redevenu un homme. — Puis à peine s’est-il réjoui dans son cœur, à cette pensée, qu’un sourd reproche murmure en lui, et il entend comme des voix d’anges qui lui rappellent ses projets d’autrefois. Elles lui vantent la paix d’une vie passée loin des durs travaux, la douceur de la prière entremêlée aux actions pieuses : elles lui parlent du presbytère caché sous l’ombre de vieux noyers, avec une vigne autour des fenêtres, une cour, un puits, et un jardin où il y aura des roses ! Mais le jeune homme résiste, et repousse les mystérieuses tentations. Alors une autre voix gronde et s’élève ! Dieu parle lui-même ; et pour que le cloarec ne s’y trompe pas, Dieu lui parle la langue sacrée, Dieu lui parle latin, comme son bréviaire et son professeur de rhétorique !

« Et je venais sur la route, ne songeant à aucun mal, ne songeant qu’à ma plus aimée, quand j’entendis quelqu’un d’invisible qui me criait d’un ton terrible :

Quid quietem queris,
Cùm ad laborem natus sis ?

« Et moi je restai un moment debout, éperdu et le sang glacé dans mes veines.