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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

— Les guerz plaisans sont plus rares que les autres. Je ne connais guère, en ce genre, que ceux intitulés : le Moine et les perdrix, le Diable cherchant un métier, et enfin, la Femme du meunier. Ce dernier est devenu célèbre en France par les imitations qu’en firent les troubadours, puis la reine de Navarre, puis enfin La Fontaine dans son conte intitulé les Quiproquo.

Quant aux guerz historiques, le nombre en est infini, et ce sont généralement les plus anciens. Ainsi, outre la ballade des Deux Frères, qui appartient évidemment au temps des croisades, on peut citer la jeune Religieuse, ravissante élégie à la manière de Goëthe ; le marquis du Guerand, les Regoat, l’Infanticide, Marianic, l’Héritière de Keroulas, le Cloarec de Laoudour, et mille autres dont il serait trop long de donner même les titres.

L’Héritière de Keroulas est un chant fort célèbre, et qui personnifie admirablement le vieux guerz breton. Nous l’avons déjà dit, les ballades écossaises ne peuvent donner une idée de ce genre de poèmes. Il y a en effet, dans les premières, une tournure dramatique, mouvementée, qui révèle l’imagination d’une race chevaleresque. Le guerz breton, au contraire, rappelle la grave tristesse de ce peuple à enveloppe de pierre, qui ramasse tout au dedans et ne remue que juste ce qu’il faut pour vivre. Sa poésie est, comme lui, sans tempêtes, sans nuages apparens, à surface plane et limpide : on la voit claire jusqu’au fond. L’ame y glisse et s’y égare, comme une barque rêveuse, mais sans secousses de houle, ni de raffale. L’aspect en est uniforme, monotone même, mais immense ; elle reflète je ne sais quelle vague contemplation des grandes harmonies de la nature et de l’ame ; c’est comme l’accord d’une douleur innée avec les longs soupirs de l’Océan, sur les tristes landes de nos baies.

Ce caractère de sentimentalité profonde, placide et concentrée, est fortement marqué dans toute la littérature armoricaine ; mais nulle part il ne se révèle avec autant d’ingénuité que dans les chants dont nous nous occupons. Ce sont les guerz historiques surtout qui sont empreints de cette mélancolie sincère et de tempérament. Leur drame est généralement peu de chose ; ce sont des tableaux d’intérieur où une douleur réelle apparaît sur le premier plan, au milieu des détails les plus familiers. Il s’y trouve bien