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ses troupeaux le long des bruyères roses, faisant le signe de la croix quand la première étoile montait au ciel, et revenant tous les jours vers son pauvre toit de chaume par le même sentier de noisetiers, en chantant le même cantique.

§. iv.
Le Guerz. — Différentes espèces de Guerz. — La Tête de mort. — L’Héritière de Keroulas. — Le Cloarec de Laoudour.

Si les cantiques sont les poésies les plus populaires de la Bretagne, les guerz en sont incontestablement les plus anciennes. Quelques-uns de ces guerz remontent jusqu’au xiiie siècle et même au-delà, mais c’est le très petit nombre : presque tous sont postérieurs à 1500 ; la plupart ne datent même que de deux siècles.

Le guerz armoricain rappelle beaucoup les ballades des peuples du Nord, mais seulement pour la forme, car on n’y trouve pas l’allure guerrière qui domine dans celles-ci. Le caractère breton est plutôt énergique que militaire. C’est une race vaillante au combat, parce qu’elle a de fortes affections et de fortes haines ; mais l’épée ne lui tient pas aux mains plus long-temps que la passion au cœur. Celle-ci satisfaite ou apaisée, les habitudes champêtres reprennent bien vite le dessus. Aussi n’est-ce point son histoire guerrière que le peuple breton a conservée dans ses ballades, mais bien celle de sa vie intérieure et privée. Il n’en pouvait du reste être autrement. Dès le moment où la Bretagne cessa de former un état à part, et où la noblesse arbora le drapeau fleurdelisé à ses créneaux, le vassal, qui n’avait plus à défendre cette vague et instinctive idée de nationalité, dut se désintéresser des affaires publiques. Les luttes politiques continuèrent en vain ; ce n’étaient plus pour lui que d’abstraites querelles, nées de vanités ou d’ambitions personnelles. Tout cela d’ailleurs se faisait sans choc d’armures, sans prouesses, sans éclat, sans rien de ce qui peut réveiller chez les masses le sentiment poétique. Qu’aurait donc eu à chanter le peuple ? Ce mouvement d’intrigues et de discussions politiques n’était plus de sa sphère, il ne s’y mêlait plus. C’étaient des tempêtes ou de beaux jours que les puissans formaient au-dessus de sa tête,