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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

les montagnes de la Cornouaille, en prêtant l’oreille aux chansons des bergers. À chaque pas, la voix d’un enfant ou d’une vieille femme lui jette, de loin, un lambeau de ces antiques ballades, chantées sur des airs comme on n’en fait plus, et qui racontent un miracle d’autrefois, un crime commis dans la vallée, un amour qui a fait mourir ! Les couplets se répondent de roche en roche, les vers voltigent dans l’air comme les insectes du soir ; le vent vous les fouette au visage, par bouffées, avec les parfums du blé noir et du serpolet… Et tout plongé dans cette atmosphère poétique, rêveur et enchanté, vous vous avancez au milieu d’une campagne agreste, vous voyez de grandes pierres druidiques, habillées de mousse, qui se penchent au bord des bois ; des ruines féodales, accroupies dans les bruyères, sur le flanc des coteaux ; et, parfois, au haut des montagnes, des figures d’hommes échevelés et étrangement vêtus vous apparaissent, et passent, comme des ombres, entre l’horizon et vous, se dessinant sur un ciel que la lune commence à éclairer ! — C’est comme une vision des temps passés, comme un rêve que l’on ferait après avoir lu une page d’Ossian !

La forme donnée à tous leurs poèmes par les Bretons est la suite de leur goût prononcé pour le chant. L’Italien lui-même, quoique plus délicat dans ses créations et surtout plus habile à les exécuter, n’a pas une oreille plus juste, un sentiment musical plus passionné. Du reste, cette aptitude du paysan armoricain lui est commune avec tous les peuples encore près de la nature. Le chant est l’expression énergique de cette partie de l’ame que les langues humaines ne savent pas rendre. Il n’est pas moins naturel que la parole. Plus élevé que celle-ci, il est aussi destiné à traduire les émotions qui dépassent la trivialité usuelle. Il passionne la langue, comme l’accent, qui n’est lui-même qu’un chant timide. Les Bretons l’ont ajouté à toutes leurs compositions, et la chanson forme toute leur littérature. Aussi revêt-elle tour à tour les diverses physionomies de l’art d’écrire. Ode, roman, élégie, satire, morale, enseignement scientifique, il n’est rien qu’elle ne renferme. C’est la presse, ou plutôt c’est le journalisme sous ses faces variées. Elle résume tout, depuis l’Agronome jusqu’au Charivari. L’air populaire qui l’encadre et la rend plus facile à retenir est comme le format du journal. Active, bavarde, coureuse, ainsi que notre presse