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chevaleresques et féeriques achevèrent alors de tomber en oubli. C’est aussi de la même époque qu’il faut faire dater la littérature religieuse et élégiaque, cultivée jusqu’à nos jours par les paysans bretons avec tant de talent, mais pourtant, il faut l’avouer, avec une originalité et un succès toujours décroissans.

Du reste, ce xvie siècle présenta, dans notre pays, un spectacle étrange et digne d’être étudié. En même temps que la noblesse se francisait, par une réaction singulière d’idées, le peuple tendait à se nationaliser plus que jamais. L’on eût dit qu’au moment où ces gens à cuirasse renonçaient à leur drapeau séparé, les hommes de travail et d’industrie en voulaient élever un nouveau qui distinguât leur pays de tout autre. Aussi, tandis que l’individualité politique de la Bretagne se perdait, le peuple travaillait à lui redonner une individualité artistique et littéraire. Le mouvement qui s’effectua alors fut immense. La Bretagne entière se souleva comme travaillée par un volcan. Ce volcan, c’était la pensée populaire qui cherchait ses cratères, et comme la foi religieuse dominait surtout cette masse en fermentation, la lave qui s’en échappa parut toute teinte de ses brûlantes croyances. Il sembla, un instant, que le peuple entier s’était mis à genoux, et que toutes ses actions s’étaient transformées en prières. C’est à cette époque qu’il faut faire remonter les innombrables calvaires, chapelles, églises et oratoires qui hérissent encore notre province. Tout ce que l’intelligence humaine put inventer de ressources fut tour à tour mis en œuvre pour ces merveilleuses constructions. Les ouvriers les plus habiles faisaient vœu de ne travailler qu’aux églises, et ils parcouraient la Bretagne offrant aux prêtres des moindres villages leur temps et leurs marteaux. Il en était qui se vouaient uniquement à la construction des chapelles élevées à la vierge Marie et qui refusaient tout autre travail. Quelques-uns, adonnés à la sculpture du kersanton, s’imposaient, comme une obligation religieuse, la confection, par jour, d’un certain nombre de feuilles de chêne, de trèfles ou d’arabesques. Ils appelaient cette pratique religieuse : Le chapelet du picoteur[1].

La poésie ne put rester étrangère à cet élan. Mise à la porte des

  1. Piqueur de pierre.