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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

guerres civiles, et que les monastères, où l’on eût pu recueillir ces précieux débris, se fermèrent devant des ouvrages profanes pour recevoir exclusivement les légendes merveilleuses et les carthulaires, qui, toutefois, n’échappèrent alors au naufrage et ne traversèrent les trois siècles suivans, que pour fournir du papier à cartouche à Villaret de Joyeuse dans son fameux combat de prairial.

Cependant notre province n’avait pas tellement mué sa nationalité qu’il ne lui en fut rien resté : la vieille Bretagne se mourait ; mais, comme il arrive dans toute agonie, les extrémités s’étaient refroidies les premières, et les restes de vie s’étaient réfugiés vers le cœur. Le peuple était encore breton ; le peuple avait conservé sa foi, ses mœurs et son langage. Malheureusement, ce n’était pas à lui qu’avaient été confiés les dépôts littéraires. Tout était entre les mains des seigneurs. Le peuple n’avait d’autres bibliothèques que sa mémoire, dans laquelle il n’avait gardé que quelques chants qui se perdirent à la longue, ou se défigurèrent par les successives modifications du langage.

Tout se réunit donc pour anéantir les traces des premiers bardes. Un seul échappa à cette destruction générale. Ce fut Guinclan, qui, dans le ve siècle, chantait aux Bretons les destinées futures de leur patrie, et dont les poèmes, consacrés par la gloire, comme ceux d’Homère, étaient connus sous le nom de prophéties de Guinclan. Un manuscrit de ces prophéties existait encore, en 1701, à l’abbaye de Landevenec ; mais, depuis, il a été perdu ! Vainement le barde s’était promis l’immortalité et s’était écrié dans une de ses prédictions : « L’avenir entendra parler de Guinclan ; un jour les descendans de Brutus[1] élèveront leurs voix sur Menez-Bré, et ils s’écrieront, en regardant cette montagne : — Ici habita Guinclan ! — Et ils admireront les générations qui ne sont plus et les temps dont je sus sonder les profondeurs ! »

De tous les chants du poète, ces vers seuls ont échappé au temps qui semble les avoir conservés à dessein, et comme une amère ironie lancée par lui au génie.

On peut donc dire que, dès avant le xvie siècle, la Bretagne avait renoncé à son héritage poétique, et que ses vieux lais, ses romans

  1. Les Bretons. — Les légendaires font de Brutus le père du peuple breton.