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Cette objection est plus spécieuse que convaincante. Si les ouvrages bretons que la tradition nous a conservés, ne remontent point généralement plus haut que 1500, la raison en est facile à trouver. Ce ne fut qu’au commencement du xvie siècle (à cette époque où la société, si fortement cerclée jusqu’alors par les croyances, commença à craquer de toutes parts) que la Bretagne fut réunie à la France ; mais déjà, depuis long-temps, l’individualité de cette contrée avait reçu de fortes atteintes. Les longs démêlés de de Blois et de Montfort, relativement au duché, en appelant dans ce pays les armées de France et d’outre-mer, avaient surtout été funestes à son originalité primitive. La petite noblesse bretonne, sortie de ses manoirs pour se mêler aux Français et aux Anglais, prit bientôt leurs mœurs, leur langage et leurs habitudes. Quant aux comtes et aux seigneurs, ils avaient perdu, depuis long-temps, leur écorce armoricaine à la cour des ducs, où les étrangers étaient aussi nombreux que les Bretons. Par suite, il y eut, en Bretagne, une vraie transfiguration des mœurs premières ; et, dans cette transformation, l’esprit français domina, parce qu’outre les raisons de sympathie et de convenance politique, la France était un trop gros soleil pour ne pas attirer, dans son mouvement, tout ce qui gravitait près d’elle. Elle entraîna ainsi successivement toutes les provinces indépendantes, et bientôt tous ces astres secondaires, engagés dans l’orbite de la grande planète, ne brillèrent plus que de la lumière qu’ils en empruntèrent. Ce fut ce qui arriva à notre pays. La vieille Bretagne fit nouvelle peau. Elle se francisa sans s’en apercevoir, et sa nationalité était déjà morte depuis long-temps lorsque Charles viii écrivit son épitaphe.

Or, pendant cette longue et progressive métamorphose, la littérature celtique dut être singulièrement négligée. En se substituant à la langue primitive, le français fit oublier les ouvrages bretons. Ceux-ci se perdirent alors d’autant plus facilement que les copies en étaient, sans doute, peu nombreuses, vu l’ignorance du pays et de l’époque, qui rendait la plupart des gentilshommes étrangers aux livres, et surtout par la raison que l’imprimerie n’avait pas encore reproduit ces écrits. Il faut remarquer aussi que le goût des lettres s’était perdu dans notre contrée au milieu du fracas des