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REVUE. — CHRONIQUE.

effets inattendus, pareille aux gouttes de cristal qui tombent des cascades et vont se nuançant toujours d’une teinte nouvelle.

Le concert donné au bénéfice des inondés de Saint-Etienne est jusqu’ici la plus brillante réunion musicale de la saison.

Rubini, Tamburini, Mme Damoreau, en ont fait les honneurs. Mais ce qui avait surtout attiré les artistes, ce qu’ils attendaient avec plus d’impatience que le duo de Moïse tant de fois applaudi, c’était l’Adélaïde de Beethoven que devait chanter Rubini ; Adélaïde, rêverie adorable, étoile sereine qui ne luit et ne tremble au ciel de l’art qu’à de si lointaines distances.

Après une absence de plusieurs mois, Mme Damoreau est rentrée à l’Opéra. Sa voix, qui d’abord semblait s’être altérée, a bientôt eu repris son timbre et sa sonorité. Elle a chanté Zerline, dans Don Juan, avec une grâce charmante, une finesse exquise, dont elle seule est capable aujourd’hui. Aux dernières représentations du Comte Ory, Mlle Falcon s’est emparée avec honneur du rôle de la comtesse, l’un des plus difficiles du répertoire de Mme Damoreau. Pour qui avait assisté aux débuts de cette jeune cantatrice, ou l’avait entendue chanter cette grande musique de la Vestale, il était clair que c’était là un talent énergique et vrai ; mais, tout en admirant la puissance et la vibration de cette voix si pleine, on pouvait encore douter de son agilité. L’exemple de Mme Devrient était là tout récent ; on se souvient de la belle Allemande habituée aux chants simples de Beethoven et de Weber, et de son embarras lorsqu’il lui fallut assouplir sa voix et la ployer à toutes les délicatesses du chant italien. Le rôle de la comtesse a donné à Mlle Falcon l’occasion de faire briller un côté de son talent qui jusqu’ici était resté dans l’ombre.

M. Berlioz a donné son premier concert. La lutte que ce jeune homme soutient depuis long-temps, est âpre et rude, et ne paraît pas devoir bientôt finir. La haine que lui portent tous les directeurs de spectacle, est héréditaire ; celui qui se retire la transmet à son successeur. Je suis certain que M. Paul, avant de céder sa place à M. Crosnier, l’aura conduit dans le magasin du théâtre pour lui faire jurer sur quelque vieux autel haine mortelle à Berlioz. À voir l’effet terrible et spontané que le simple nom de Berlioz produit sur le plus mince comparse, on dirait que les murailles doivent crouler le jour où l’on entonnera sa musique ; de telle sorte que, toutes les fois que ce jeune homme impatient veut se faire entendre du public, il rassemble une troupe de musiciens, et donne un concert dont il supporte à lui seul toute la responsabilité. Il faut que certains esprits médiocres, envieux de toute gloire qui s’élève, exercent une influence bien profonde sur la volonté des hommes qui dirigent nos théâ-