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core aujourd’hui cette musique, c’est grâce aux chanteurs italiens. Du Moïse français, il n’en faut plus parler : il est enfoui dans la même poussière que la Vestale et Guillaume Tell. Au moins, ces deux derniers ouvrages n’ont pas été retirés complètement du répertoire, il en reste encore quelque chose, et, de loin en loin, lorsqu’on ne peut jouer ni le Philtre, ni la Bayadère, il en paraît un acte. Je demanderai la même faveur pour Moïse ; les admirateurs de Mlle Elssler en seront quittes pour arriver une heure plus tard ; quant à ceux qui aiment encore la divine musique, ils y gagneront une grande jouissance, et l’administration ne perdra rien à les satisfaire. Ô Rossini ! c’était donc pour l’ensevelir que tu parais ton œuvre avec magnificence, pour l’ensevelir que tu couvrais ses bandelettes avec les plus beaux diamans de la couronne ? L’exécution de l’ouvrage italien est admirable ; c’est Lablache qui représente aujourd’hui le prophète, et grâce à cette voix puissante, aux élans sublimes de ce grand tragédien, le rôle a repris toute son importance. En effet, c’était pitié, les autres années, de voir ce pauvre Moïse toujours dominé par Pharaon, et ne lever les mains que pour faire descendre la lumière ou recevoir des chaînes ; maintenant il parle, il chemine, il se mêle aux Hébreux, et cependant le drame est toujours resté le même, l’action ne s’est pas retrempée aux sources bibliques. Mais Lablache, artiste intelligent, s’est inspiré des beautés de l’œuvre musicale, et les rend par son geste énergique et son regard, non moins que par sa voix mâle et profonde. L’air qu’il chante au second acte étonne et ravit ; jamais cet organe sans pareil n’avait éclaté avec plus de véhémence ; jamais aussi l’enthousiasme du public n’avait été plus grand. En effet, on avait déjà souvent entendu les belles notes de cette voix formidable sonner au milieu d’un final ; mais c’était la première fois qu’on le voyait aux prises avec un air impétueux et rapide, et qu’il s’en tirait si vaillamment. On a beaucoup blâmé Lablache d’avoir introduit dans le chef-d’œuvre de Rossini une assez pitoyable cavatine d’un auteur étranger. J’avoue, en effet, que la musique de Pacini est commune et vulgaire ; c’est là une de ces cavatines comme en écrivent tous les jours par centaines les imitateurs de Rossini ; mais Lablache a deux bonnes raisons à donner : la première, c’est qu’il la chante, cette cavatine ; la seconde, que l’air original de la partition est un des plus faibles de Rossini. D’ailleurs, c’est Rossini qui l’a conseillé dans cette affaire, il ne nous appartient pas d’être plus sévères que lui. Le duo de Mose est devenu trop célèbre aujourd’hui pour qu’on en parle encore ; tout le monde en connaît les merveilles. On sait avec quel art chantent ces deux rivaux, comment, dans cette lutte harmonieuse, la note passe d’une voix à l’autre sans jamais altérer sa transparence et roule à l’infini, trouvant à chaque instant des sons et des