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REVUE. — CHRONIQUE.

cule et bouffon, contemplé à travers un nuage de poudre, est devenu calme et grave tout-à-coup ; ses yeux semblent illuminés d’une lueur morne et terrible, sa démarche est auguste et solennelle, et tant de majesté l’environne, qu’on tremble à chacune de ses paroles, comme s’il avait en lui quelque étincelle du buisson ardent. Certes il y a loin du vieux Campanone au révélateur hébreu, aussi loin que du plâtre de Dantan au marbre de Michel-Ange, et cependant Lablache a franchi d’un pas la distance. La partition de Mose, tout incomplète qu’elle est au théâtre Italien, n’en reste pas moins une des plus belles de Rossini. L’introduction du premier acte, le quatuor du second, la prière, sont des morceaux d’un sentiment profond et vrai, admirables surtout par la constante élévation du style. La phrase que chante Elicia sur le corps foudroyé du jeune roi est d’une expression déchirante ; c’est ainsi que doivent éclater les regrets de la Juive amoureuse ; son désespoir s’élève et grandit jusqu’au délire ; c’est bien là le transport d’une ame ardente qui se révolte et blasphème avant que de se résigner. Mais sa colère tombe ; ses larmes ruissellent, et le verset divin qu’elle chante dans la prière au milieu du désert vient expier ce qu’il y avait d’amer dans la première effusion de sa douleur. À part quelques marches banales et quelques motifs vulgaires jetés çà et là comme par négligence, Mose est une œuvre élevée et qui se maintient presque toujours dans une sphère idéale et poétique. On y respire je ne sais quel parfum oriental ; on sent que cette musique se chante dans la ville du Pharaon, au pays du désert et des sphynx de granit. Certes jamais musicien au monde ne fut moins que Rossini préoccupé du caractère de son œuvre, et cependant d’où vient que sa musique vous ravit comme par magie au lieu de l’action ? d’où vient que les chœurs de Sémiramis vous font rêver aux magnificences d’Orient, à toutes les splendeurs des fêtes de Tyr et de Babylone ? d’où vient que, pendant l’introduction de Mose, vous êtes pris de terreur comme si vous lisiez les pages de la Bible où les fléaux sont racontés ? d’où vient que durant tout le premier acte de Guillaume Tell, sur cette mélodie heureuse et calme, il vous arrive comme une sereine fraîcheur du lac et des montagnes ? C’est que le génie est doué d’une force d’instinct merveilleuse ; qu’il s’élève tout à coup par l’inspiration sur des sommets que la science met cent ans à gravir ; qu’il porte en lui la connaissance innée de toutes les sources de la couleur et de la vie, et tantôt plonge dans la lumière des soleils, tantôt se roule sous la neige des montagnes.

Avec cette partition du Mose italien, Rossini avait fait un chef-d’œuvre en l’augmentant il y a quelques années d’un duo, d’un air et du plus beau final qu’il ait peut-être jamais écrit ; cependant, si nous entendons en-