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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

est celui où il raconte sa découverte, et les sensations inouies qui l’agitèrent sitôt que le mercure brilla fixé en or sous ses yeux. « Que ma joie fut vive et grande ! j’étais hors de moi-même, je fis comme Pygmalion, je me mis à genoux pour contempler mon ouvrage et en remercier l’Éternel. Je me mis à verser un torrent de larmes ; qu’elles étaient douces ! que mon cœur était soulagé ! Il me serait difficile de peindre ici tout ce que je ressentais, et la position où je me trouvais. Maintes idées s’offraient à la fois : la première me portait à diriger mes pas près du roi-citoyen et à lui faire l’aveu de ma découverte ; l’autre, à faire un jour assez d’or pour former divers établissemens dans la ville qui me vit naître ; une autre idée me portait à marier le même jour autant de filles qu’il y a de sections à Paris, en les dotant ; une autre idée me portait à me procurer l’adresse des pauvres honteux, et à aller moi-même leur distribuer des secours à domicile. Enfin je commençai à craindre que ma joie ne me fit perdre la raison. Je sentis la nécessité de me faire violence et de prendre beaucoup d’exercice en me promenant à la campagne, ce que je fis pendant huit jours consécutifs. Il ne se passait pas quelques heures sans que j’ôtasse mon chapeau, et, levant les yeux au ciel, je le remerciais de m’avoir accordé un pareil bienfait, et je versais d’abondantes pleurs[1]. Enfin je parvins à me calmer et à sentir combien je m’exposerais en faisant de pareilles démarches. Après avoir réfléchi mûrement, je pris la résolution de vivre au sein de l’obscurité sans éclat, et de borner mon ambition à faire des heureux en secret, sans me faire connaître. » C’est le jeudi-saint 1831, à 10 heures sept minutes du matin, que l’alchimiste avait opéré seul la transmutation ; il a noté le jour et l’heure comme Dante et Pétrarque ont fait pour le jour et l’instant béni où ils virent leurs divinités, et la page que je viens de citer du bon alchimiste me semble presque rappeler en naïve allégresse certains passages de la Vita Nuova. L’alchimiste remit d’opérer la transmutation devant sa femme au lundi de Pâques ; il fit emplette d’une branche de laurier et d’une tige d’immortelle, pour lui annoncer

  1. Le bon alchimiste oublie dans son transport que pleurs n’est pas du même genre que larmes.