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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

sous les traits de l’actrice toute-puissante, est montée jusqu’à l’héroïsme de l’histoire.

Ce qu’elle a usé de force et de persévérance dans ces travaux, si long-temps méconnus, ne peut se calculer sans effroi ; bien lui a pris de ne pas perdre patience et de se résigner en attendant son heure, car son heure est arrivée : elle a lutté corps à corps avec l’alexandrin revêche de Casimir Delavigne ; elle a brisé de son mieux, et sans trop de colère, les inflexibles hémistiches qui menaçaient de s’arrêter au gosier. Enfin, Dumas et Hugo sont venus à elle.

Sans vouloir porter atteinte à la valeur individuelle de ces deux poètes, je crois pouvoir affirmer qu’Adèle d’Hervey et Marion Delorme ne sont pas nées dans leur pensée telles qu’ils les ont vues sur le théâtre.

Ainsi, par exemple, dans le premier de ces deux rôles, elle a poétisé la passion violente, mais prosaïque ; elle a ramené aux conditions de l’idéalité un entraînement irrésistible dans l’intention de l’auteur, mais où les sens avaient trop beau jeu. D’une maladie effrayante et victorieuse, d’une faiblesse déplorable, elle a su faire un amour qui va tête haute, et qui se glorifie dans la souffrance.

Dans Marion Delorme, sur une trame de poésie lyrique, majestueuse et flottante, elle a brodé de ses mains des fleurs splendides et variées qui ont ajouté à la richesse de l’étoffe sans gêner la grace de la draperie. La courtisane trop effacée dans le rôle écrit, et qui devait donner à l’amour de Marion un caractère particulier, a reparu de loin en loin et s’est trahie habilement par la vivacité de la parole, par la liberté des mouvemens, par le sentiment comprimé de l’humiliation.

Mais il faut le reconnaître, l’inépuisable spontanéité de Mme Dorval ne pouvait corriger le défaut constant de la nouvelle école dramatique. Ce défaut, c’est l’absence de logique et de composition. Je ne veux pas entamer d’inutiles récriminations ; je ne veux pas insister sur la vocation décidée de M. Hugo pour le spectacle, et de M. Dumas pour l’émotion physiologique. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de constater la prédominance constante de l’effet sur la composition, — la supériorité perpétuelle des détails sur