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façable, une frivolité qui repousserait la pitié ; ce serait une douleur vulgaire, et que la poésie ne pourrait élever jusqu’à elle.

Faire dire à une contadine vénitienne : qu’est-ce qu’un poète ? c’est une bévue singulière. Dans un pays où les gondoliers chantent les stances de la Jérusalem, parler de poésie comme d’une ignorée de la foule, c’est une fantaisie plus ridicule que blâmable. Heureusement Mme Dorval a très bien corrigé cette niaiserie par la manière admirable dont elle a dit à Byron, après avoir écouté ses vers : Je comprends cela.

Il était fort important pour l’actrice de préparer l’explosion de la jalousie par l’inquiétude et l’étonnement, et pour cela les paroles ne suffisaient pas ; le désordre de la démarche, l’indiscrète curiosité, le regard qui juge et condamne sans interroger, la brusquerie des interpellations, voilà ce qu’il fallait, voilà ce qui n’était pas dans le rôle écrit, ce que Mme Dorval a deviné.

Aussi quand elle a saisi le bras de son amant, et qu’elle s’est écriée : Que faites-vous là ? quand elle a dit à sa rivale inattendue : Qui êtes-vous ? chacun de nous a compris que la partie était sérieuse et serait vivement disputée.

Comme la pièce tout entière n’est qu’une série de choses impossibles et absurdes, il est fort inutile d’insister sur la position plus que délicate de Margarita en présence de lady Byron. Ceci est la faute du poète et non pas de l’actrice. Avec une donnée toute pareille, George Sand a su construire une scène de la plus haute poésie. Quand Indiana, face à face avec la femme de Raymon, soutient son droit de toute la majesté de son dévouement et de sa douleur, son rôle est le même que celui de Margarita. — Heureusement l’actrice a comblé la distance.

Arrivée au moment suprême, à la clairvoyance et au malheur, Margarita ne pouvait lever le poignard sur lady Byron, si elle avait gardé religieusement le caractère du rôle écrit. Si elle avait aimé comme une enfant, elle ne pourrait se venger comme une femme ; sa voix s’éteindrait dans les sanglots, ses genoux fléchiraient, son regard immobile s’arrêterait sur sa rivale ; et, pour conjurer le destin, elle n’aurait que des larmes et des prières.

Mais la Margarita que nous avons vue a raison de pousser la colère jusqu’à la virilité. Avant de maudire celui qui la trompait,