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qui la gouverneroient, au lieu d’avoir affaire au même génie qui leur attiroit tant de travaux, de peines et de maux, triompheroient de joie d’une conduite si différente, tandis que nos alliés se trouveroient étourdis et peut-être fort ébranlés d’un changement si important ; que, quelque puissant que fust le génie de Sa Majesté pour soutenir et gouverner une machine si vaste dont les ressorts et les rapports nécessaires étoient si délicats, si multipliés, si peu véritablement connus, il s’y trouvoit une infinité de détails auxquels il falloit journellement suffire dans le plus grand secret, avec la plus infatigable activité ; qui ne pourroient par leur nature, leur diversité, leur continuité, devenir le travail d’un Roy ; encore moins de gens nouveaux qui, en ignorant toute la bâtisse, seroient arrêtés à chaque pas, et peu désireux peut-être, par haine et par envie, de soutenir ce que le Cardinal avoit si bien, si grandement, si profondément commencé. À quoi il falloit ajouter l’espérance des ennemis, qui remonteroient leur courage à la juste défiance des alliés, qui les détacheroit et les pousseroit à des traités particuliers, dans la pensée que les nouveaux ministres seroient bientôt réduits à faire place à d’autres encore plus nouveaux, et de la sorte, à un changement perpétuel de conduite.

« Ces raisons, que le Roy s’étoit sans doute dites souvent à luy-même, luy firent impression. Le raisonnement se poussa, s’allongea, et dura plus de deux heures. Enfin le Roy prit son parti. Mon père le supplia d’y bien penser. Puis l’y voyant très affermi, luy représenta que, puisqu’il avoit résolu de continer sa confiance au Cardinal de Richelieu, et de se servir de luy, il ne devoit pas négliger de l’en faire avertir, parce que, dans l’estat et dans la situation où il devoit être, après ce qui venoit de se passer à Luxembourg, et n’ayant point de nouvelles du Roy, il ne seroit pas étonnant qu’il prist quelque parti prompt de retraite.

« Le Roy approuva cette réflexion, et ordonna à mon père de luy mander, comme de luy-même, de venir ce soir même trouver Sa Majesté à Versailles, laquelle s’y en retournoit. Je n’ay point sçu, et mon père ne m’a point dit pourquoi le message de sa part, non de celle du Roy : peut-être pour moins d’éclat et plus de ménagement pour la Reyne.

« Quoi qu’il en soit, mon père sortit du cabinet, et trouva la chambre