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chez luy. Il ne parla à personne, et brossa droit à son cabinet, où il fit entrer mon père seul, et luy commanda de fermer la porte en dedans et de n’ouvrir à personne.

« Il se jeta sur un lit de repos, au fond de ce cabinet, et un instant après, tous les boutons de son pourpoint sautèrent à terre, tant il étoit gonflé par la colère. Après quelque temps de silence, il se mit à parler de ce qui venoit de se passer. Après les plaintes et les discours pendant lesquels mon père se tint fort sobre, vint la politique, les embarras, les réflexions. Le Roy comprit plus que jamais qu’il falloit exclure du conseil et de toute affaire la Reyne sa mère ou le cardinal de Richelieu ; et tout irrité qu’il fust, se trouvoit combattu entre la nature et l’utilité, entre les discours du monde et l’expérience qu’il avoit de la capacité de son ministre. Dans cette perplexité, il voulut si absolument que mon père lui en dist son avis, que toutes ses excuses furent inutiles. Outre la bonté et la confiance dont il luy plaisoit de l’honorer, il savoit très bien qu’il n’avoit ny attachement, ny éloignement pour le Cardinal, ny pour la Reyne, et qu’il ne tenoit uniquement et immédiatement qu’à un si bon maître, sans aucune sorte d’intrigue, ny de parti.

« Mon père fut donc forcé d’obéir. Il m’a dit que, prévoyant que le Roy pourroit peut-être le faire parler sur cette grande affaire, il n’avoit cessé d’y penser depuis la sortie de Luxembourg jusqu’au moment que le Roy avoit rompu le silence dans son cabinet.

« Il dit donc au Roy qu’il étoit extrêmement fâché de se trouver dans le détroit forcé d’un tel choix ; que Sa Majesté sçavoit qu’il n’avoit d’attachement de dépendance que de luy seul ; qu’ainsi vuide de tout autre passion que de sa gloire, du bien des affaires, de son soulagement dans leur conduite, il luy diroit franchement, puisqu’il le luy commandoit si absolument, le peu de réflexions qu’il avoit faites depuis la sortie de la chambre de la Reyne, conformes à celles que luy avoient inspirées les précédents progrès d’une brouillerie, qu’il avoit craint de voir conduire à la nécessité du choix, où les choses en étoient venues.

« Qu’il falloit considérer la Reyne comme prenant aisément des amitiés et des haines, peu maîtresse de ses humeurs, voulant néanmoins être maîtresse des affaires, et quand elle l’étoit en tout ou