Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/418

Cette page a été validée par deux contributeurs.
414
REVUE DES DEUX MONDES.

amis du Cardinal, pour empoisonner de préventions l’esprit du roi, que la souffrance avait affaibli. Le malheureux prince n’imagina pas que les soins empressés des deux femmes cachaient le calcul d’une jalousie haineuse. Il se laissa aller au soupçon : prudent néanmoins, il s’en tint à la promesse de peser consciencieusement les actes de son ministre, et de le punir, en cas d’infidélité, par une éclatante et irrévocable disgrâce.

Une guérison prompte et inespérée ramena à Paris le roi et la cour. Fallait-il se prosterner devant le cardinal ou la reine-mère ? La question était d’importance pour les courtisans. Chacun manœuvra selon ses conjectures. La grande comédie politique se joua le 11 novembre 1630, et l’histoire lui a donné le titre de Journée des dupes.

Saint-Simon en a tracé les scènes principales d’après le récit de son père, qui en a été l’unique témoin.


« Il y a, dit-il, bien des choses importantes, curieuses et très particulières, arrivées pendant le séjour de la cour à Lyon, sur lesquelles on pourroit s’étendre, et qui préparèrent peu à peu l’évènement qui va être présenté, auquel il faut venir sans s’arrêter aux préliminaires. Il suffira de dire qu’il n’y fut rien oublié pour perdre le cardinal de Richelieu, et que le Roy entretint la Reyne d’espérances, sans aucune positive, la remettant à Paris pour prendre résolution sur une démarche aussi importante.

« Soit que la Reyne, c’est toujours Marie de Médicis dont on parle, comprist qu’elle n’emporteroit pas encore la disgrâce du Cardinal, et qu’elle avoit encore besoin de tems et de nouveaux artifices pour y réusir ; soit que, désespérant, elle se fust enfin résolue au raccommodement ; soit qu’elle ne l’eust feint que pour faire un si grand éclat qu’il effrayast et entraînast le Roy ; ou que, sans tant de finesse, son humeur étrange l’eust seule entraînée sans dessein précédent, elle déclara au Roy, en arrivant à Paris, que, quelque mécontentement extrême qu’elle eust de l’ingratitude et de la conduite du cardinal de Richelieu[1] et des siens à son égard, elle avoit

  1. On sait que Richelieu avait été poussé aux affaires par Marie, et que ses plus proches parens étaient attachés à la maison de la reine-mère.