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qui, malgré sa protection, se trouveroit livré aux Espagnols et au duc de Savoie ; mon père, dis-je, imagina un moyen de l’amuser les soirs : le Roy aimoit fort la musique ; M. de Mortemart avoit amené dans son équipage un nommé Nyert, qui la savoit parfaitement, qui jouoit très bien du luth fort à la mode en ce temps-là, et qu’il accompagnoit de sa voix qui étoit très agréable. Mon père demanda à M. de Mortemart s’il vouloit bien qu’il proposât au Roy de l’entendre. M. de Mortemart non seulement y consentit, mais il en pria mon père, et ajouta qu’il seroit ravi, si cela pouvoit contribuer à quelque fortune pour Nyert. Cette musique devint donc l’amusement du Roy, les soirs dans sa solitude, et ce fut la fortune de Nyert et des siens.

« Le Roy, continuant ses pénibles recherches et ses infatigables cavalcades, trouva enfin un chévrier qu’il questionna si bien qu’il en tira ce qu’il cherchoit depuis si long-temps. Il se fit conduire par lui sur les revers des montagnes, par des sentiers affreux, d’où il découvrit les barricades à plein, qui, d’où il se trouvoit, lui étoient inférieures et très proches. Il examina bien tout ce qui étoit à remarquer, longea le plus qu’il put cette crête et ces précipices, descendit et tourna de très près la première barricade, forma son plan, l’expliqua à mon père, qui se trouva presque le seul homme de marque à sa suite, parce qu’on le vouloit laisser solitaire et s’ennuyer en ces pénibles promenades ; revint enfin à son logis, résolu d’attaquer.

« Le lendemain, ayant mandé de très bonne heure les maréchaux et quelques officiers de confiance, il les mena partout où il avoit été la veille, leur expliqua son plan, qu’il avoit rédigé lui-même le soir précédent : les maréchaux et les autres officiers ne purent disconvenir, que, quoique très difficile, l’attaque étoit praticable et savamment ordonnée. Le Cardinal ne put ensuite s’y opposer seul, et fut même bien aise qu’elle se pût exécuter : ce qui fut le lendemain, parce qu’il falloit un jour pour les dispositions et les ordres. Le Roy y combattit en grand capitaine et en valeureux soldat, grimpant l’épée à la main, à la tête de tous, quelques grenadiers seulement devant luy, et franchissant les barricades à mesure qu’il y gagnoit du terrain ; se faisant pousser par derrière pour grimper sur les tonneaux et les autres obstacles, donnant