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gret, ce fils ! car il avait tant d’esprit ! tant d’esprit !… Ne croyez pas que les quelques heures de ma paternité aient fait de moi une sorte de singe de père ! Je sais ce que je dis… N’était-ce pas de l’esprit à lui de ne se laisser amener au monde que par des pinces de fer, d’avoir si promptement reconnu le malaise de notre société ?… N’était-ce pas de l’esprit d’avoir saisi la première occasion d’en sortir ?… J’ai voulu être heureux une fois comme les autres hommes ; mais cela ne m’a pas réussi… »

Il y eut un malheur dont Lessing ne se plaignit jamais à ses amis : ce fut son effrayant isolement, sa solitude intellectuelle. Quelques-uns de ses amis l’aimèrent ; mais aucun ne le comprit. Mendelsohn, son meilleur ami, le défendit avec chaleur quand on l’accusa de spinosisme. La défense et la chaleur étaient aussi ridicules que superflues. Tranquillise-toi dans ta tombe, vieux Moïse ! ton Lessing était bien sur la route de cette affreuse erreur, de cet abîme horrible du spinosisme ;… mais le Très-Haut, notre père qui est au ciel, l’en a préservé à temps par la mort. Tranquillise-toi, Lessing n’était pas spinosiste, comme le prétendit la calomnie ; il mourut en bon déiste, comme toi et Nicolaï, et Teller, et la Bibliothèque universelle allemande.

Lessing ne fut que le prophète qui, en comprenant le second Testament, annonça le troisième. Je l’ai appelé continuateur de Luther ; et c’est surtout sous ce rapport que j’ai à en parler ici. Je dirai ailleurs son importance quant à l’art allemand : il y a introduit une réforme salutaire, non-seulement par sa critique, mais encore par son exemple, et cette face de son activité est celle qu’on met en lumière et qu’on prise le plus ordinairement. Nous le considérons, nous, sous un autre point de vue, et ses luttes philosophiques et théologiques nous intéressent plus que sa dramaturgie et que ses drames. Ceux-ci ont pourtant, comme tous ses écrits, un sens social, et Nathan le sage n’est pas seulement au fond une bonne comédie, c’est aussi un traité philosophico-théologique en faveur du déisme pur. L’art fut pour Lessing une autre sorte de tribune, et quand on lui fermait le prêche et la chaire, il s’élançait sur la scène, y parlait plus clairement encore et conquérait un public bien plus nombreux.

Je dis que Lessing a continué Luther. Celui-ci nous ayant dé-