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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

le déisme était sa foi la plus intime et sa plus profonde conviction. Quand son ami Lessing mourut et qu’on l’accusa de spinosisme, il le défendit avec le zèle le plus inquiet ; et dans cette occasion, il se fâcha à en mourir.

Je viens d’écrire pour la seconde fois le nom de l’homme qu’aucun Allemand ne peut prononcer sans entendre dans son sein un écho plus ou moins sonore. Mais depuis Luther, l’Allemagne n’a pas enfanté d’homme plus grand ni meilleur que Gotthold Ephraïm Lessing ; tous deux sont notre orgueil et notre joie. Dans l’affliction du présent, nous élevons nos regards vers leurs images consolatrices, et nous lisons dans leurs yeux de brillantes prophéties. Oui, il viendra certainement le troisième libérateur qui achèvera ce que Luther a commencé et ce que continua Lessing ; il viendra le troisième libérateur !… Je vois déjà son armure d’or étinceler dans sa pourpre impériale, comme le soleil dans le manteau rouge du matin.

Ainsi que Luther, Lessing agit efficacement, moins encore en accomplissant des faits déterminés, qu’en remuant dans ses profondeurs le peuple allemand, et en produisant un mouvement salutaire dans les esprits par sa critique et par sa polémique. Il fut la critique vivante de son époque, et sa vie fut une polémique continuelle. Cette critique se porta dans le domaine le plus étendu de la pensée et du sentiment, dans la religion, dans la science, dans l’art ; cette polémique terrassa tout adversaire et gagna en force à chaque victoire. Lessing, comme il l’avouait lui-même, avait besoin de lutte intellectuelle pour le développement de son esprit. Il ressemblait tout-à-fait à ce Normand fabuleux qui héritait des talens, des connaissances et des forces des hommes qu’il tuait en duel, et qui finit de cette manière par être doué de toutes les qualités et perfections imaginables. On conçoit qu’un champion aussi batailleur fît grand bruit en Allemagne, dans cette tranquille Allemagne qui avait alors une tranquillité encore plus endimanchée qu’aujourd’hui. Le plus grand nombre s’effarouchèrent de sa hardiesse littéraire ; mais cette hardiesse même fut ce qui le servit le mieux : oser ! est le secret de la victoire en littérature comme en révolution… et en amour. Tous tremblaient devant le glaive de Lessing ; personne n’était à l’abri de ses coups. Oui, il abattit par pur caprice mainte