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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

belles-lettres, ils n’avaient pas précisément de système, mais seulement une tendance déterminée. Ils ressemblent aux moralistes anglais dans leur style et dans leurs derniers principes. Ils écrivent sans observer de forme rigoureusement scientifique, et la conscience morale est l’unique source de leurs connaissances. Leur tendance est tout-à-fait la même que nous voyons chez les philanthropes français. En religion, ils sont rationalistes, et cosmopolites en politique ; en morale, ils sont hommes, hommes nobles et vertueux, sévères pour eux-mêmes, indulgens pour les autres. Quant au talent, on peut citer Mendelsohn, Sülzer, Abt, Moritz, Garve, Engel et Biester comme les plus distingués. Moritz est celui que je préfère ; il fit beaucoup dans la psychologie expérimentale ; il fut d’une naïveté rare, peu compris du reste par ses amis ; ses mémoires sont un des monumens les plus remarquables de ce temps. Pourtant Mendelsohn a plus que tous les autres une grande importance sociale : il fut le réformateur des Israëlites allemands, ses co-religionnaires, ruina l’autorité du Talmud et fonda le mosaïsme pur. Cet homme, que ses contemporains nommèrent le Socrate allemand, auquel ils accordèrent l’admiration la plus respectueuse à cause de la noblesse de son âme et de la force de son esprit, était le fils d’un pauvre gardien de la synagogue de Dessau. Outre le fardeau de la pauvreté, la Providence l’avait encore chargé d’une bosse, comme pour enseigner à la populace, par une leçon visible, qu’on doit juger l’homme d’après son mérite, et non d’après son extérieur.

Comme Luther avait vaincu le papisme, ainsi fit Mendelsohn pour le Talmud et par la même tactique, c’est-à-dire en rejetant la tradition, et déclarant, comme source de la religion, la Bible, dont il traduisit la partie la plus importante. Il détruisit par là le catholicisme juif, comme Luther le catholicisme chrétien. Le Talmud est en effet le catholicisme des Juifs. C’est un dôme gothique, surchargé, il est vrai, d’enroulemens enfantins, mais qui nous étonne par son élan prodigieux et par sa hauteur gigantesque ; c’est une hiérarchie de lois religieuses, souvent d’une subtilité ridicule, et cependant si habilement superposées et subordonnées les unes aux autres, qu’elles s’appuient mutuellement et forment un ensemble colossal et formidable.