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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

théiste, revenons à la philosophie de Leibnitz dont nous avons à raconter les destinées ultérieures en Allemagne.

Pour écrire ses ouvrages que vous connaissez, Leibnitz s’était servi de la langue latine ou de la française. Christian Wolf est le nom de l’excellent homme qui professa les idées de Leibnitz, non-seulement d’une manière systématique, mais encore en langue allemande. Son mérite véritable ne consiste pas à avoir resserré les idées de Leibnitz dans un système solide, encore moins à les avoir rendues accessibles, par leur traduction en langue allemande, à un public plus nombreux. Son mérite spécial fut d’exciter à philosopher dans notre langue maternelle. Nous n’avions su, jusqu’à Luther, traiter la théologie qu’en latin : il en fut de même jusqu’à Wolf pour la philosophie. L’exemple de quelques rares savans qui avaient déjà essayé, dans les temps antérieurs, de professer en allemand sur ces matières, demeura sans résultat. Néanmoins l’historien littéraire doit leur accorder un éloge spécial ; nous rappellerons surtout Johannes Tauler, moine dominicain, né au commencement du xive siècle sur les bords du Rhin et mort en 1361 à Strasbourg. C’était un homme pieux, et il fit partie de ces mystiques que j’ai désignés comme le parti platonicien du moyen-âge. Dans les dernières années de sa vie, ce brave homme renonça à l’orgueil des savans, ne se fit pas honte de prêcher dans l’humble langue du peuple, et ces sermons qu’il a recueillis, ainsi que les traductions allemandes qu’il fit de quelques autres de ses sermons antérieurs, comptent parmi les monumens les plus remarquables de la langue allemande ; car cette langue montra dès-lors qu’elle est, non-seulement bonne pour les dissertations métaphysiques, mais qu’elle y est bien plus propre que la langue latine. Cette dernière, idiome des Romains, ne peut jamais renier son origine. Langue de commandement pour les capitaines, langue de décrétales pour les administrateurs, langue juridique pour les usuriers, c’est une langue lapidaire pour ce peuple romain, dur comme la pierre. Elle devint la langue prédestinée du matérialisme. Quoique le christianisme, avec une patience vraiment chrétienne, se soit tourmenté, pendant plus d’un millier d’années, à spiritualiser cette langue, il n’y est jamais parvenu, et quand Johannes Tauler voulait s’abîmer dans les profondeurs les plus effrayantes de la