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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

vèlent du fond de leur ame les idées chrétiennes et les symboles qui y correspondent. Les intelligences pratiques, régulières, aristotéliciennes, construisent avec ces idées et ces symboles un système solide, le dogme et le culte. L’église finit par enfermer dans son sein ces deux natures d’hommes dont les uns prirent position dans le clergé séculier, et les autres se retranchèrent dans les monastères, sans cesser pour cela de se combattre. La même lutte se manifeste dans l’église protestante : c’est la dissidence entre les piétistes et les orthodoxes qui répondent jusqu’à un certain point aux mystiques et aux dogmatistes du catholicisme. Les piétistes protestans sont des mystiques sans imagination, et les orthodoxes protestans sont des dogmatistes sans esprit.

Nous trouvons ces deux partis protestans engagés dans un combat acharné au temps de Leibnitz, et sa philosophie intervint plus tard quand Christian Wolf s’en empara, l’accommoda aux besoins du temps, et, ce qui était le plus important, la professa en langue allemande. Mais avant de parler de cet écolier de Leibnitz, du résultat de ses efforts et du sort ultérieur du luthéranisme, nous devons faire mention de l’homme providentiel qui s’était formé avec Locke et Leibnitz à l’école de Descartes, qui n’excita pendant long-temps que le mépris et la haine, et pourtant arrive aujourd’hui à gouverner les esprits.

Je parle de Benoît Spinosa.

Un grand génie se forme à l’aide d’un autre, moins par assimilation que par frottement. Un diamant polit un diamant. Ainsi la philosophie de Descartes a, non pas enfanté, mais fait éclore celle de Spinosa. C’est pourquoi nous trouvons chez le disciple la méthode du maître, ce qui est un grand avantage. Puis nous rencontrons chez Spinosa, comme chez Descartes, la démonstration empruntée aux mathématiques, ce qui est un grand défaut. La forme mathématique donne un air âpre et dur à Spinosa ; mais c’est comme l’écorce de l’amande ; la chair n’en paraît que plus savoureuse. La lecture de Spinosa nous saisit comme l’aspect de la grande nature dans son calme vivant ; c’est une forêt de pensées hautes comme le ciel, dont les cimes fleuries s’agitent en mouvemens onduleux, tandis que les troncs inébranlables plongent leurs racines dans la terre éternelle. On sent dans ses écrits flotter