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Non, en vérité, non ! car ce problème n’est autre qu’un accommodement de la lutte entre l’idéalisme et le matérialisme. Platon est tout-à-fait idéaliste et ne connaît que des idées innées. L’homme apporte avec soi ses idées en naissant, et quand il en a la conscience, elles lui apparaissent comme des souvenirs d’une existence antérieure. De là le vague et le mysticisme de Platon, qui ne fait que se souvenir plus ou moins clairement. Chez Aristote, au contraire, tout est clair, intelligible, certain, car ses connaissances ne se manifestent pas à lui avec les réminiscences d’un monde antérieur, mais il reçoit tout de l’expérience et sait tout classer de la manière la plus précise : aussi demeure-t-il à jamais le modèle des empiriques, et ceux-ci ne savent assez remercier le bon Dieu de ce qu’il fit d’Aristote le maître d’Alexandre, qui par ses conquêtes lui donna tant de moyens pour l’avancement de la science, et lui fit présent de tant de milliers de talens pour faciliter ses recherches zoologiques. Le vieux pédagogue a employé consciencieusement cet argent, j’en suis sûr ; et pour ce prix, il a disséqué un nombre respectable de mammifères, empaillé des oiseaux en quantité suffisante et fait les plus scrupuleuses observations ; mais, avec tout cela, il a omis d’étudier le grand bipède qu’il avait eu le plus fréquemment sous les yeux, que lui-même avait élevé, et qui était bien le plus curieux. En effet, il nous a laissés sans notion aucune sur la nature de ce roi adolescent dont la vie et les actions sont pour nous un merveilleux sujet d’étonnement et une énigme. Quel était Alexandre ? qu’a-t-il voulu ? fut-il fou ou dieu ? Nous n’en savons encore rien ; mais Aristote nous donne des renseignemens d’autant plus complets sur les quadrupèdes de Babylone, les perroquets indiens et les tragédies grecques, qu’il a également disséquées.

Platon et Aristote ! Ce ne sont pas seulement les deux systèmes, mais encore les deux types des différentes natures d’hommes qui, de temps immémorial, sous tous les costumes, se sont posées plus ou moins hostilement en face l’une de l’autre. On combattit ainsi surtout pendant la durée du moyen-âge jusqu’à nos jours, et cette lutte est la partie essentielle de l’histoire de l’église chrétienne. Quelques noms qu’on mette en avant, c’est toujours de Platon et d’Aristote qu’il s’agit. Les tempéramens rêveurs, mystiques, platoniques, ré-