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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

qui soit sortie de la tête d’un philosophe. C’est ce qu’il a fait de mieux, car on y voit déjà poindre le pressentiment des lois les plus importantes que notre philosophie actuelle ait reconnues. La doctrine des monades n’était peut-être qu’une faible manière de formuler les mêmes lois qui ont été proclamées de nos jours en de meilleures formules par les philosophes naturalistes. Je devrais même ici, au lieu du mot lois, n’employer à proprement parler que celui de formules ; car Newton remarque avec une grande justesse que ce que nous nommons loi dans la nature n’existe pas, et que ce ne sont que des formules qui viennent au secours de notre intelligence pour expliquer une suite de faits dans la nature. La Théodicée est de tous les écrits de Leibnitz celui dont on a le plus parlé en Allemagne. C’est pourtant sa plus faible production. Ce livre, comme quelques autres écrits où s’exprime le sentiment religieux de Leibnitz, lui valut un mauvais renom et l’a fait bien cruellement méconnaître. Ses ennemis l’accusèrent de faiblesse intellectuelle et de sensiblerie, et ses amis, pour le défendre, le présentèrent comme un hypocrite rusé. Le caractère de Leibnitz demeura pendant long-temps chez nous un sujet de controverse : les plus bienveillans n’ont pu l’absoudre de l’accusation de duplicité ; ceux qui le décrièrent le plus furent les esprits forts et les amis des lumières. Comment pouvaient-ils pardonner à un philosophe d’avoir défendu la Trinité, les peines éternelles de l’enfer et la divinité du Christ ? Leur tolérance ne s’étendait pas aussi loin. Mais Leibnitz ne fut ni un sot ni un misérable, et, de sa hauteur harmonique, il put fort bien défendre intégralement le christianisme. Je dis intégralement, car il le défendait contre le semi-christianisme. Il montra que les orthodoxes étaient conséquens dans leur système, ce qu’on ne pouvait dire de leurs adversaires. Il n’a jamais voulu davantage. Et il était placé alors sur ce point de l’indifférence où les divers systèmes n’apparaissent que comme les faces diverses d’une même vérité. Ce point d’indifférence, M. J. Schelling l’a reconnu plus tard, et Hegel l’a établi d’une manière scientifique comme un système des systèmes. C’est dans une vue semblable que Leibnitz s’occupa d’une concordance entre Platon et Aristote. Ce problème a été encore proposé assez fréquemment chez nous en des temps postérieurs. A-t-il été résolu ?