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malentendu, bien définir ce que j’entends par ces deux expressions.

Il existe, depuis les temps les plus reculés, deux opinions opposées sur la nature de la pensée humaine, c’est-à-dire sur les sources dernières de la connaissance intellectuelle, sur l’origine des idées. Les uns soutiennent que nous ne recevons nos idées que du dehors, que notre esprit n’est qu’un alambic vide où s’élaborent les impressions recueillies par les sens, à peu près comme la nourriture apportée dans notre estomac. Pour employer une meilleure image, ces gens considèrent l’esprit comme une table rase, où l’expérience écrit successivement et chaque jour quelque chose de nouveau, d’après certaines règles graphiques déterminées. Les autres, qui professent des vues opposées, soutiennent que les idées sont nées dans l’homme, que l’esprit humain est le siége originaire des idées, et que le monde extérieur, l’expérience et les sens, qui sont les intermédiaires, ne nous amènent qu’à reconnaître ce qui était déjà déposé dans notre esprit, et ne font qu’y éveiller les idées sommeillantes.

La première doctrine a reçu le nom de sensualisme, quelquefois d’empirisme ; on a nommé l’autre spiritualisme ou bien encore rationalisme. Cependant il peut facilement résulter des malentendus de ces dénominations. Nous désignons aussi depuis quelque temps sous ces noms de spiritualisme et de sensualisme deux systèmes sociaux qui se produisent dans toutes les manifestations de l’existence. Nous appliquons en effet le nom de spiritualisme à cette outrageante prétention de l’esprit qui, tendant à obtenir la glorification pour lui seul, s’efforce de fouler aux pieds la matière, ou tout au moins de la flétrir. Le nom de sensualisme, nous l’attribuons à l’opposition qui se révolte contre cette prétention, opposition qui a pour but une réhabilitation de la matière, et revendique les droits inaliénables des sens, quoiqu’elle ne nie pas pour cela les droits ni même la suprématie de l’esprit.

Je laisse donc à ces deux systèmes sociaux les noms de spiritualisme et de sensualisme. Quant aux opinions philosophiques sur l’origine de nos connaissances, je leur donne de préférence les dénominations d’idéalisme et de matérialisme, et désigne par la première la doctrine des idées innées, des idées à priori, et par